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Mediapart
D’Aya Nakamura à Saint-Denis, les Natifs assument leur racisme au tribunal
#extremedroite #racisme
Article mis en ligne le 8 juin 2025
dernière modification le 7 juin 2025

Treize membres du groupuscule identitaire ont été jugés mercredi pour une banderole raciste visant la chanteuse. Et jeudi, deux d’entre eux ont aussi comparu à Bobigny pour une action contre une exposition à la basilique de Saint-Denis. Deux procès qui éclairent sur leurs méthodes et leur stratégie de défense.

L’agenda judiciaire du groupuscule identitaire Les Natifs s’est considérablement accéléré en ce début du mois de juin. Le premier acte se déroule mercredi au tribunal de Paris. Trois des treize prévenu·es sont présent·es, des vingtenaires caché·es derrière des lunettes de soleil et des masques chirurgicaux.

Ces militant·es d’extrême droite doivent, entre autres, répondre d’« injure publique en raison de la prétendue origine, ethnie, race ou religion et provocation publique à la discrimination en raison de la prétendue origine, ethnie race ou religion ». En cause : une banderole raciste déployée à Paris contre la chanteuse Aya Nakamura le 8 mars 2024 : « Ya pas moyen Aya. Ici c’est Paris pas le marché de Bamako ». Une manière de fustiger la participation pressentie de la Franco-Malienne, artiste francophone la plus écoutée du monde, à la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Paris. (...)

Les trois identitaires ne dérogent pas au silence durant près de six heures d’audience, devant la 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris. À peine entaillent-ils leur mutisme quand Stanislas Tyl et Martin Escard s’avancent ensemble à la barre pour lire un polycopié rédigé à l’avance.

La présidente les recadre sans attendre : « Non, non, chacun son tour, devant un tribunal correctionnel, vous engagez votre responsabilité personnelle, pas collective. » C’est Stanislas Tyl qui se chargera finalement de dérouler son manifeste. Il réaffirme le message de la banderole et nie une provocation à la haine : « La culture musicale dans laquelle s’inscrit Aya Nakamura ne reflète en rien l’identité de notre pays. » (...)

Hitler en fond d’écran

Le lendemain, l’ex-étudiant en finance est plus prolixe pour le deuxième acte judiciaire de sa semaine, cette fois entre les murs de briques du tribunal de Bobigny (Seine-Saint-Denis). À ses côtés, Alexis Fondet, 23 ans, coupe courte, traits anguleux. Les deux prévenus ont assuré ne pas se connaître lors de l’instruction. Sur le banc, ils se montrent pourtant quelques messages sur leur téléphone.

Ils sont mis en cause pour « entrave concertée et avec violence ou voie de fait à l’exercice de la liberté de création artistique » à l’encontre de l’exposition photo « Les Nouvelles Reines » de l’artiste Sandra Reinflet à la basilique Saint-Denis. Ils sont accusés d’avoir apposé un drap noir sur les photographies de trois femmes, dont une vêtue d’un voile, le 11 mars 2025. Une action conclue par l’accrochage de trois autres visages : sainte Jeanne d’Arc, sainte Geneviève et Geneviève de Galard. Comme pour la banderole contre Aya Nakamura, l’action a été abondamment relayée sur les réseaux sociaux. Capucine Colombo se tient cette fois sur le banc du public, tout sourire. (...)

Autre élément dont Mediapart a pris connaissance : le schéma de déverrouillage de son mobile en forme de croix gammée. Alexis Fondet assure que cela « est regrettable » et nie toute sympathie néonazie (...)

Antoine Gongora, autre prévenu, dont l’application Telegram a livré les éléments les plus probants dans cette enquête, a, lui, estimé ne plus faire de militantisme. Il a même nié faire partie des Natifs, après s’être pourtant présenté dans de nombreuses vidéos comme le porte-parole du groupe.

Nuire à la liberté d’expression des autres

Stanislas Tyl relativise la gravité de son action contre la basilique Saint-Denis, menée pour « montrer [son] mécontement » : « Ce n’était pas fait pour dégrader, il s’agissait juste d’une action à portée symbolique, ça n’avait pas d’incidence sur son exposition à elle. » La procureure insiste, elle, sur un « préjudice porté contre l’artiste et toute la société », appuie sur la violence de leur action et décrit « une haine qui s’inscrit, se ressent de plus en plus ». (...)

La photographe Sandra Reinflet, absente à l’audience, avait témoigné auprès de Mediapart des intimidations haineuses reçues jusqu’à son domicile en plein déchaînement de la fachosphère en mars. (...)

La sœur de Marc de Cacqueray-Valménier, l’une des figures les plus violentes de l’extrême droite française, est venue en soutien de ses camarades. Pourtant, la veille, à Paris, elle ne s’est pas présentée à la barre alors qu’elle faisait partie des treize prévenu·es dans l’affaire de la banderole raciste contre Aya Nakamura, soupçonnée d’avoir participé à son déploiement.

Dans cette première affaire, Mes Lambert et Sassi déploient une défense similaire à celle observée à Bobigny : une relativisation constante de la gravité des actes imputés à leurs clients. (...)

Le relativisme des avocats de la défense prend aussi appui sur l’organigramme du groupe identitaire. Mathieu Sassi estime qu’il est important de distinguer « trois catégories de Natifs ». La première compte les expérimenté·es, les aguerri·es comme Martin Escard et Grégoire Clausier. La seconde concerne des débutant·es comme Capucine Colombo, pas très intégrée aux Natifs, selon l’avocat, mais pourtant responsable d’une partie de la communication visuelle et des achats de tissu pour la banderole en amont de l’action.

Troisième catégorie : celles et ceux qui observent plus qu’ils n’agissent, selon Me Sassi. (...)

« L’extrême droite tue »

« J’ai le sentiment qu’on parle d’un groupe absolument anodin, en poursuite d’idéaux, rétorque l’avocate du Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP), partie civile dans le dossier. Les Natifs sont un groupuscule d’ultradroite qui véhicule des idées racistes. On aurait aimé qu’un tel travail ait été effectué dans le cadre du meurtre d’Hichem Miraoui, il y a quelques jours. »

Le conseil de SOS racisme, autre partie civile, rappelle qu’« on constate depuis quelques mois que l’extrême droite tue ». « Les prévenus sont présentés comme une joyeuse bande de comiques, d’artistes, mi-fachos, mi-bohèmes, mais c’est un groupe très organisé, dont les responsables ont appartenu à un groupe déjà dissous (Génération identitaire). »

Plus tard à la barre, Dominique Sopo, président de l’association antiraciste, tonne contre « des gens qui se posent en victime, mais sont auteurs de propos d’une extrême gravité, qui installent un climat raciste. Ces dernières heures, le crime raciste dans le Var ne venait pas de nulle part. Il est lié à cette excitation constante depuis plusieurs années. »

Alors que l’avocat de la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra) décrit, de son côté, ces paroles racistes comme des « fusils armés », Capucine Colombo peine à réprimer un éclat de rire sur son banc.

Tout le long de l’audience, le premier rang s’envoie des volées de clins d’œil, sourit. Les avocats de la défense ne masquent pas leur mépris quand les parties civiles, qu’ils décrivent comme « la cohorte des associations antiracistes habituelles », prennent la parole. (...)

La procureure, elle, a choisi de « tenir compte de la gravité des propos, de l’émoi causé et de la visibilité de cette action », vue près de 4,4 millions de fois sur X, dont elle estimait qu’elle visait non pas au débat, « mais à la discrimination » et à « humilier cette chanteuse en raison de ses origines maliennes ». « Il y a une volonté de hiérarchiser les Français, ceux qui le sont depuis la naissance et ceux qui ont été naturalisés », a précisé le ministère public, qui a requis huit mois de sursis et 3 000 euros d’amende contre Capucine Colombo, Antoine Gongora, Constance Ducret et Édouard Michaud.

Quatre mois d’emprisonnement et 3 000 euros d’amende ont été requis pour huit autres prévenus. Quatre mois ferme ont été requis contre Gauthier Duhaut, déjà condamné à une peine avec sursis par le passé. Le jugement a été mis en délibéré au 17 septembre 2025.