
Les périodes de crise, qui plus est lorsqu’il s’agit de tensions internationales et de conflits militaires, sont rarement propices au pluralisme de l’information. Les grands médias ont alors inexorablement tendance à s’aligner sur la communication des gouvernants.
Au cours des deux semaines étudiées après les massacres perpétrés par le Hamas le 7 octobre, le récit médiatique dominant impose une lecture de la guerre à Gaza à la fois partielle, partiale et gangrénée par un double standard systémique selon que l’on s’intéresse aux réalités israéliennes ou palestiniennes. Une information biaisée et déséquilibrée, parfois propagandiste tant certains médias auront repris mot pour mot – sans jamais l’interroger ni a fortiori la critiquer – la communication belliqueuse des autorités civiles et militaires israéliennes. Une information au garde-à-vous, qui n’a été la plupart du temps que louanges pour le positionnement diplomatique du président français durant les quinze premiers jours.
Le suivisme à l’égard de la communication du gouvernement et de l’armée israéliens – y compris ses discours les plus guerriers, justifiant les crimes de guerre contre la population gazaouie – s’est donné à voir de manière spectaculaire dans de nombreux médias. Tandis que la réaction d’Israël fut très vite enclenchée – les bombardements sur Gaza ont débuté dès le 7 octobre et le siège complet de l’enclave a été déclaré le 9 –, rares ont été les journalistes, éditorialistes et autres « experts » (ès « géopolitique » ou « relations internationales ») à avoir envisagé ou discuté la possibilité d’un cessez-le-feu ou de négociations dans le cadre d’un processus de paix.
Dans les deux premières semaines, les commentateurs se divisent plutôt en deux catégories : les « va-t’en-guerre » d’un côté, et les partisans de la « cécité volontaire » de l’autre. Chez ces derniers, le discours postulant ou sous-entendant qu’Israël n’aurait « pas d’autre choix » s’accommode de fait des « dommages collatéraux » (entendre : la mort de centaines puis de milliers de civils gazaouis) et tend à disqualifier les quelques intervenants qui en appelaient concrètement à la désescalade, renvoyés dans le camp des « naïfs » et suspectés, au mieux, d’ingénuité (...)
On ne pourrait terminer ce panorama sans souligner à quel point le commentaire médiatique ambiant, charriant l’idée d’une réponse militaire israélienne inéluctable et à la légitimité indiscutable, fut aligné sur le positionnement du gouvernement français, dans un élan de suivisme propre aux temps de guerres : un « soutien inconditionnel » dans le cas de la présidente de l’Assemblée nationale, « ferme et complet » de la part d’Emmanuel Macron à Israël, ayant « le droit de se défendre » tout « en préservant les populations civiles » énonçait le président de la République le 12 octobre, sans que les crimes de guerre commis par l’armée israélienne n’aient jamais été ni décrits, ni nommés... et encore moins condamnés [8].
Aussi, au lendemain de cette allocution télévisée, les journalistes politiques les plus en vue [9], bons thermomètres de la pensée éditoriale dominante, oscillèrent entre des comptes rendus béats, des éditoriaux de paraphrase acritique et des exercices de contorsions cyniques. (...)
Las... Dans de telles circonstances, l’unisson du chœur des professionnels du commentaire résonne d’une manière d’autant plus tonitruante qu’existe, en son sein, une petite voix réellement détonante. Ce fut le cas. Et contre toute attente, c’est BFM-TV qui l’a faite entendre. 13 octobre, 6h50 du matin, l’éditorialiste Matthieu Croissandeau affirme qu’Emmanuel Macron « s’est montré convaincant sur le ton, un peu moins sur le fond. » Après avoir salué les mots trouvés « pour témoigner de notre solidarité au peuple israélien » et « condamner l’attaque du Hamas », l’éditorialiste étrille le positionnement français à l’égard d’Israël, en dénonçant « un en même temps dont le président de la République ne maîtrise pas les tenants et les aboutissants ». Une transcription (presque) exhaustive de l’argumentation qui suit mérite ici sa place, tant elle fit rejaillir, cette fois par contraste, la servilité et la platitude des éditoriaux précédemment évoqués (...)