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Les cahiers du nem
D’un bout à l’autre de l’empire, le pouvoir colonial carcéral : le bagne des annamites de Christèle Dedebant
#memoire #colonisation #bagne #VietNam
Article mis en ligne le 11 septembre 2025

Pendant la colonisation française de l’Indochine, la France a déporté des prisonniers politiques “annamites” vers la Guyane, où les prisonniers de droit commun, reclus dans des bagnes, étaient forcés de construire les infrastructures coloniales. La journaliste et docteure en histoire Christèle Dedebant a consacré à cette histoire, qui éclaire l’histoire de la colonisation par ses marges, un livre remarquable, Le bagne des annamites, les derniers déportés politiques en Guyane. Le sociologue Julien Le Hoangan partage ses impressions de lecture sur cet ouvrage.

L’archipel carcéral colonial indochinois

Encore aujourd’hui, il est possible et même recommandé d’aller visite la Maison centrale, ou Hỏa Lò, à Hà Nôi, qui fut successivement lieu d’incarcération des prisonniers du pouvoir colonial français, puis utilisée pour y enfermer les soldats des États-Unis qui la rebaptisèrent ironiquement Hanoi Hilton. La petite île de Côn Đảo accueille aussi de nombreux visiteurs qui viennent déguster des fruits de mer, rendre hommage à l’une des grandes figures de la résistance anticoloniale Võ Thị Sáu, et visiter ce qui reste du bagne de Poulo Condore. D’un bout à l’autre du Viêt Nam, les martyrs sont loués et l’histoire de la résistance souligne l’importance de la dimension politique des institutions carcérales coloniales. En Nouvelle-Calédonie, après une exposition itinérante, Les Kanak et le bagne en 2022, et une autre consacrée aux “Exilés et condamnés indochinois en Nouvelle-Calédonie” en 2024, la mémoire de cette migration coloniale demeure vivace et témoigne de la géographie pénitentiaire de l’Indochine et d’un pouvoir qui guillotine mais aussi déracine, discipline, sépare, use et abuse des corps des indigènes colonisés, criminalisés (en partie encore aujourd’hui). L’histoire des déportés vers la Guyane n’échappe pas à cette règle. (...)

Il y a des livres qui marquent parce qu’ils changent notre vision du monde. Les théories et concepts sont alors développés différemment par des auteurs et autrices qui s’approprient et exemplifient les idées. Le Bagne des Annamites est l’illustration concrète, l’application au contexte colonial indochinois du Surveiller et punir de Michel Foucault. (...)

Raconter le collectif par le bas

De 1931 à 1946, le bagne de Guyane a accueilli des centaines de prisonniers, dont certains étaient des opposants politiques. Ils étaient principalement issus des mouvements nationalistes opposés à la domination française, certains ayant rejoint les rangs des communistes avant et pendant l’incarcération. Ce phénomène, qui peut sembler être à la marge de l’histoire de la colonisation française en Indochine illustre pourtant la dimension répressive de l’empire, et montre comment la France utilisait l’éloignement forcé pour briser les réseaux militants tout en disposant d’une main d’œuvre indigène pour exploiter ses territoires.

Une des difficultés principales, dans ce genre d’ouvrage, est de réussir à concilier la rigueur scientifique tout en donnant à voir l’expérience singulière des individus qui constituent l’histoire que l’on raconte. La plume de Christèle Dedebant réussit ce pari.

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Christèle Dedebant. Le Bagne des Annamites, Actes Sud, 2024, 336 pages. Une version vietnamienne devrait être publiée au début de l’année 2026.