
Des compagnies aériennes et des entreprises de sûreté aéroportuaire sont soupçonnées d’avoir recruté en contrat d’alternance des salariés déjà diplômés, qui auraient donc dû être embauchés en CDD ou CDI. Un procès pour escroquerie doit se tenir à la mi-avril à Bordeaux et d’autres enquêtes sont en cours.
Un employeur qui recrute du personnel en contrat de professionnalisation au motif de le former sur ce qu’il a déjà appris. C’est la manœuvre employée par des entreprises de sûreté aéroportuaire et des compagnies aériennes, agissant main dans la main avec des organismes de formation. (...)
Pour les entreprises recruteuses, c’est un moyen de disposer d’une main-d’œuvre compétente et diplômée, mais aussi largement moins payée qu’en contrat de droit commun – la rémunération minimale d’un contrat professionnel est de 55 % du smic – tout en empochant des aides de l’État, qui a grassement subventionné les recrutements en alternance entre 2020 et 2024. Pour les organismes de formation, c’est l’occasion de grossir leur chiffre d’affaires en facturant des formations non qualifiantes aux salarié·es, payé·es par des fonds publics.
Poursuivis pour ces « manœuvres frauduleuses » employées par le passé dans le secteur de la sûreté aérienne, deux dirigeants d’entreprise seront jugés mi-avril pour escroquerie devant le tribunal correctionnel de Bordeaux.
En parallèle, au moins dix compagnies – dont Hop et Transavia, les filiales du groupe Air France – usent toujours de ces pratiques pour le recrutement d’hôtesses et de stewards, comme l’a révélé récemment Le Canard enchaîné. (...)
Plus récemment, début 2025, c’est l’inspection du travail qui a décidé d’enquêter et d’interpeller, par courriel, la délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle (DGEFP). Mediapart s’est procuré ce mail, signé par une inspectrice du travail et qui a circulé dans les boîtes mail des organisations syndicales du secteur de l’aérien.
L’inspectrice s’y interroge fortement sur la légalité des recrutements en alternance. (...)
Naomie se souvient d’avoir été rémunérée 545 euros les premiers temps et jusqu’à 700 euros « selon les heures sup’ effectuées », bien loin du salaire qu’elle aurait perçu en contrat de droit commun.
Elle n’a jamais vu la couleur d’un CDI et n’a pas le souvenir d’avoir reçu de formation supplémentaire durant son année de contrat professionnel. « On nous avait dit qu’on allait être épaulés et formés sur le terrain mais on savait déjà tout faire. On faisait tous les postes d’agent de sûreté : l’accueil, le scan, la palpation… on était hyper autonomes. »
Face aux enquêteurs, d’autres salarié·es de l’époque ont affirmé avoir suivi des modules de formation jugés redondants par rapport à leur première certification et sans guère de compléments.
Surtout, aucune certification ne leur aurait été remise à l’issue du contrat, ce qui contrevient aux conditions légales d’une alternance. Pour obtenir le droit de recourir au dispositif de l’alternance, ICTS et Camas sont par ailleurs soupçonnées d’avoir inventé, sur les documents officiels, de fausses qualifications professionnelles.
Condamnations aux prud’hommes
Dans ce dossier, les enjeux financiers sont colossaux, tant en termes d’argent public possiblement détourné qu’en économies réalisées par l’entreprise de sûreté aérienne. Selon les informations de Mediapart, elle avoisinerait les 200 000 euros pour ICTS Atlantique rien que sur les salaires, sans compter le manque à gagner sur les cotisations salariales reversées à l’Urssaf.
Certain·es salarié·es ont depuis récupéré leur dû en faisant condamner l’entreprise aux prud’hommes. (...)
Le conseil juge par ailleurs « extrêmement satisfaisant » le renvoi en correctionnelle des deux dirigeants, après des années d’enquête. « Les moyens de la justice imposent de prioriser un certain nombre de choses, et les dossiers qui impliquent le droit du travail ne sont pas forcément prioritaires. Que ce soit allé jusqu’au bout est d’autant plus satisfaisant », se réjouit Olivier Meyer. Selon lui, ce dossier est celui d’une « collusion » entre les deux entreprises : « L’une, pour faire des économies et l’autre pour faire du chiffre d’affaires. »
Un procédé qui a visiblement eu cours dans d’autres aéroports français pendant plusieurs années puisque devant les enquêteurs, des dirigeant·es d’ICTS et de Camas avaient indiqué que ces pratiques étaient légion dans plusieurs escales jusqu’à ce que la justice s’y intéresse.
D’après les informations de Mediapart, une autre enquête a en effet été ouverte par le parquet de Nantes pour les mêmes faits de recours frauduleux au dispositif des contrats de professionnalisation dans la sûreté aérienne. Elle vise à nouveau l’organisme Camas ainsi qu’une autre entreprise de sécurité aéroportuaire, Hub Safe, qui aurait recruté une centaine de personnes entre 2018 et 2020 à l’aéroport nantais. (...)
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