
Ce 22 septembre, à Paris, des anciens employés sans papiers du groupe Hospitality se sont rassemblés devant un hôtel 5 étoiles pour dénoncer leurs conditions de travail et exiger leur régularisation.
Champs-Élysées, 8e arrondissement de Paris – Poings levés et scotch noir sur la bouche, huit femmes et valets de chambre sans papiers, vêtus de leur blouse bleue de travail, se tiennent devant la porte cochère de la luxueuse « Maison Bauchart ». Autour d’eux, une vingtaine de soutiens cégétistes — éboueurs, trieurs de déchets, conducteurs d’engins de chantier et autres petites mains invisibles —, hurlent en chœur : « Aujourd’hui, sous-traités, demain, embauchés ! »
À travers les fenêtres, planquée derrière de lourds rideaux, la direction de l’établissement cinq étoiles surveille d’un œil inquiet la scène. Des curieux en costard-cravate observent le rassemblement tout en rejoignant la prestigieuse avenue George V. De l’autre côté de la rue, des employés du Prince de Galles — autre 5 étoiles — en pause cigarette se réjouissent de cet élan de solidarité. L’adresse, qui se veut « intimiste » et « hautement confidentielle », où « l’élégance parisienne se chuchote entre initiés », prend soudain un coup de projecteur embarrassant.
En plein cœur du triangle d’or, à deux pas du siège social de LVMH, huit anciens employés sans papiers de la société de nettoyage Hospitality — sous-traitant notamment du leader européen de l’hôtellerie Accor — se sont rassemblés ce 22 septembre. En juin, la direction a suspendu brutalement leur contrat de travail et leur salaire par une mise à pied, à la suite d’un contrôle de l’Urssaf. (...)
Ils et elles dénoncent des conditions de travail indignes, « un management par le chantage », des « cadences éreintantes » et réclament leur régularisation par l’embauche. Les responsables de la Maison Bauchart se disent « surpris » par les faits énoncés par le syndicat. (...)
« À 3.000 euros la nuit, c’est des milliardaires qui viennent dormir ici. Il y a quatre toilettes rien que dans une suite ! »
(...)
« J’ai un bac+3 en sciences fondamentales, géologie et biologie. Mais parce que je ne sais pas tout à fait parler français, je n’ai pas le droit à des conditions de travail dignes ? »
(...)
« Quinze minutes par chambre »
Debout face à la table de réunion de l’Union locale CGT du 8e arrondissement de Paris, Abdeljalil, équipier — un poste dédié au nettoyage des espaces communs —, la trentaine, déroule : « sur le papier » 108 heures de travail au mois de juin, payées 12,17 euros brut de l’heure, en tant qu’agent de service confirmé. Lui aussi est en situation irrégulière. En colère, il lance : « Hospitality connaît notre situation, ses méthodes de recrutement sont bien rodées : embaucher des personnes sans papiers parce qu’on est vulnérables. » (...)
« On était exploités, on n’avait même pas le droit à un arrêt maladie », lance Rebiha, Algérienne de 44 ans, employée pendant deux ans par Hospitality. « Parfois, alors que tu es dans le métro pour aller travailler, on t’envoie un SMS pour te demander d’aller finalement dans un autre hôtel. »
Mouna — 32 ans, arrivée de Tunisie il y a trois ans — avait un contrat en CDI à temps partiel avec 5 heures de travail journalières. Autour de la table, elle explique qu’elle aurait travaillé la plupart du temps « 7 ou 8 heures », sans que ses heures supplémentaires soient payées : « Je devais faire parfois 20 chambres en une matinée, une toutes les quinze minutes ! C’est de l’esclavage. » (...)
« Quand j’ai demandé à être payé, on m’a menacé en me tendant une lettre de démission. On est muselés. »
(...)
À la suite d’un contrôle de l’Urssaff le 25 juin dans un hôtel Mercure à Gennevilliers (92), trois employés sans papiers reçoivent une obligation de quitter le territoire français, rapporte la CGT. Selon les huit anciens employés, dont un seul d’entre eux est sous OQTF, Hospitality aurait alors engagé une série de licenciements à l’encontre de ses équipes. Pour Abdeljalil, la société aurait même essayé de « magouiller » : « Ils voulaient nous inciter à démissionner mais on a refusé de signer », assure-t-il. (...)
Arrivé en 2017 en France et employé pendant trois ans chez Hospitality, El Hassane jure avoir demandé inlassablement un rendez-vous à la préfecture pour obtenir une carte de séjour, en vain. Il compte former un recours. (...)
Depuis les procédures de licenciement, tout le monde se retrouve sur le carreau. (...)
« La lutte des travailleurs, c’est la grève ! »
Le combat d’Amel, Rebiha, Maher, Imane, Fatiha, Abdeljalil, Mouna et El Hassane suit les traces de la grève victorieuse des femmes de chambre sans papiers de l’Ibis Batignolles, la plus longue de l’histoire de l’hôtellerie française, avec vingt-deux mois de conflit entre 2019 et 2021. Cette lutte très médiatisée a essaimé partout en France. En 2024, les employées de la société Acqua, sous-traitant du luxueux Radisson Blu de Marseille, ont obtenu gain de cause au terme de deux mois de grève. En juin, c’était celles des hôtels Campanile et Première Classe de Suresnes, après neuf mois de mobilisation. (...)