Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Mediapart
Des avis défavorables en série mettent l’université sous tension
#universites #evaluations #HCeres
Article mis en ligne le 13 mars 2025
dernière modification le 12 mars 2025

Après la salve d’évaluations négatives concernant plusieurs universités françaises, le Hcéres, institution mise en cause, plaide le couac administratif. Mais dans un contexte budgétaire difficile, syndicats et personnels manifestent mardi devant le ministère.

Ils manifestent en soutien à leurs collègues états-uniens essorés par un mois de trumpisme, mais les personnels des universités français naviguent eux-mêmes, ces dernières semaines, en eaux troubles. Dans un contexte budgétaire catastrophique et après un premier mouvement de fronde sur le mode de financement des laboratoires de recherche, des enseignant·es-chercheur·es en charge de formation parlent désormais avec des mots crus du sort qui leur serait réservé : « mépris », « violence », « humiliation bureaucratique ».

Le motif ? les évaluations menées depuis l’an dernier par le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Hcéres) sur les établissements dit de la « vague E », qui rassemble l’Île-de-France (hors Paris), les Hauts-de-France, La Réunion et Mayotte. Elles se sont soldées par une salve inédite d’avis défavorables. L’institution plaide un couac de procédure. Mais depuis lors, c’est panique à bord pour les équipes concernées, qui craignent une fermeture de plusieurs formations, en licence, master et dans les IUT. Une partie de ces personnels, soutenus par leurs syndicats, manifestent mardi 11 mars devant leur ministère de tutelle, à Paris. (...)

Concrètement, des experts (des enseignant·es-chercheur·es, en grande majorité, payés pour cette mission) vérifient « l’alignement » des formations proposées en licence, master et doctorat avec les critères établis par le ministère, et les efforts fournis par les équipes pour s’y conformer. (...)

Mais en février, c’est la stupeur : à l’issue d’un processus « lourd et chronophage, avec un tas d’indicateurs ubuesques à compiler », selon Pablo Rauzy, responsable d’une licence informatique à Paris 8 et militant au syndicat CGT Ferc-sup, un peu plus de 25 % des formations évaluées écopent d’un avis défavorable. Dans des universités comme Paris 8, en banlieue parisienne, ce chiffre grimperait autour de 60 %.

Le choc est tel que les présidences d’université concernées montent au créneau. Dans un courrier daté du 26 février, que Mediapart s’est procuré, elles évoquent « des avis vécus comme vexatoires et déconnectés de la réalité de [leurs] établissements ». Dans un courrier plus ancien, France Université pointait un processus de nature à « compromettre la crédibilité » du Hcéres.

Un effet de bord de la simplification

C’est partout la douche froide, à tel point que les hypothèses – un acharnement sur les seules sciences sociales, une mise en cause spécifique des petites universités – tombent les unes après les autres. Ainsi à l’université de Picardie Jules-Verne (UPJV), « la foudre a frappé de manière égale, aucun secteur n’est épargné », constate Fabrice Guilbaud, élu au conseil d’administration de son université pour le syndicat Snesup-FSU, responsable de licence à Amiens. (...)

« Le Hcéres, dans le cadre des démarches néo-managériales que cette institution affectionne, s’est lancé dans un grand travail de simplification des évaluations, analyse le président d’un établissement du supérieur, qui souhaite rester anonyme. Résultat, l’outil bureaucratique s’est mis à dérailler : personne n’avait anticipé qu’il pouvait y avoir autant d’incohérences entre le côté très on-off de l’avis et le commentaire du rapport de l’évaluation. Cela a plongé les collègues dans un profond désarroi. »

La nouvelle présidente du Hcéres, Coralie Chevallier, en place depuis une semaine, fait amende honorable, en insistant sur les effets de bord d’une simplification mise en place pour la vague E : ce qui était imaginé comme une simple « alerte », normalement suivie d’un échange autour de recommandations avec les formations évaluées, aurait été pris au pied de la lettre, comme un couperet (...)

Nombre de critères utilisés dans la rédaction des avis sonnent, pour les formations évaluées, comme autant d’injonctions contradictoires. Ainsi, plusieurs licences ou masters ont reçu un avis défavorable, au motif du manque d’enseignant·es-chercheur·es titulaires dans l’encadrement. « Bien sûr que le nombre de vacataires a augmenté car nous sommes victimes de l’austérité et du gel des postes depuis quinze ans, ce que nous ne cessons de dénoncer ! C’est quand même le pompon », s’insurge Fabrice Guilbaud, pour l’université d’Amiens.

Et même ceux qui sont passés au travers goûtent peu l’ironie : « Notre diplôme a reçu un avis favorable, mais avec recommandation, explique Étienne Peyrat, directeur de Science Po Lille. La recommandation est de dire qu’il fallait plus d’enseignants titulaires… Ah oui, on n’y avait encore jamais pensé ! » (...)

Certains énoncés de l’évaluation ont laissé tout aussi pantois les évalué·es : la trop grande poursuite d’études des étudiant·es, après un BUT ou une licence professionnelle, par exemple. (...)

D’autres, en sciences sociales, sont accusés à la fois de ne pas faire assez de recherche, et de ne pas professionnaliser suffisamment leurs étudiant·es, à l’issue du master. À Paris 8, le manque d’ouverture sur l’international est également relevé, ce qui est vécu comme une méconnaissance abyssale du public accueilli, d’origine populaire et parfois en grande difficulté financière : « La mise en conformité est inatteignable, s’insurge Pablo Rauzy. D’un côté vous êtes en proximité, en Seine-Saint-Denis, vous devez prendre les gamins d’ici car sinon ils ne seront pris nulle part, et de l’autre on nous reproche de ne pas être une licence assez internationale. Mais nos étudiants travaillent, ils ne peuvent pas se payer six mois d’études à l’étranger ! »

Ce n’est « pas un critère bloquant d’accréditation », veut rassurer le Hcéres, tout comme la mise en place de « l’approche par compétence », dada ministériel critiqué sur le terrain, et maintes fois cité dans les rapports à l’issue défavorables.

Ce décalage entre les rapports et les avis laissera forcément des traces. En premier lieu chez les expert·es responsables des évaluations, pairs des scientifiques évalués, et dont les noms sont indiqués dans les rapports. Selon des récits rapportés à Mediapart, certains dénoncent une forme d’« instrumentalisation » et une « emprise » assez forte des conseillers scientifiques du Hcéres, sollicités pour mettre en cohérence les différentes évaluations. (...)

La crainte de coupes à la rentrée 2025

Cette secousse renvoie aussi à une critique ancienne, celle de la pertinence même de l’évaluation, de sa portée très « normative », selon les mots d’Étienne Peyrat, que cette sortie de route sur la vague E « mettrait au clair », selon plusieurs syndicats. « L’évaluation par les pairs est légitime, sauf si elle est totalement bureaucratique, considère une enseignante-chercheuse ayant écopé d’un avis défavorable pour sa formation en Île-de-France. C’est ça qui est contesté : la stupidité de l’exercice, ces critères fous du néo-management qui demandent aux profs comme aux infirmières de compter leurs seringues et de remplir des tableaux, mais aussi le désajustement des critères aux missions de service public à ce que l’on croit devoir être l’université. »

Dans les communautés académiques, continue donc de planer le soupçon d’une préparation à des heures sombres, sur la carte future des formations. (...)

« Même si les avis sont changés, les écrits resteront, et c’est un autre moyen de pression mis sur nos épaules, conclut une autre de ses collègues des Hauts-de-France. Dans un dialogue de gestion qui s’annonce compliqué pour la rentrée 2025, nous rentrons dans un rapport de force où tous les coups sont permis, y compris celui-là. »