Le retrait d’un article phare à l’appui de l’innocuité du glyphosate, l’ingrédient actif principal du Roundup, relance les débats sur l’autorisation de ce produit au Canada. Des scientifiques appellent Santé Canada à « assumer ses responsabilités » et à reconsidérer l’approbation de cet herbicide, tandis que l’agence continue d’affirmer que le retrait de l’étude « n’affecte pas [ses] conclusions précédentes ».
Que s’est-il passé jusqu’ici ?
Le 28 novembre dernier, une influente étude sur le glyphosate a été retirée pour suspicion de conflits d’intérêts, 25 ans après sa publication. Cet article, publié dans la revue scientifique Regulatory Toxicology and Pharmacology, affirme que le Roundup, un herbicide mis au point par Monsanto, et son principal ingrédient actif, le glyphosate, ne présentent aucun risque grave pour la santé.
Ce retrait survient huit ans après que des milliers de documents internes de Monsanto eurent été rendus publics par la justice américaine (les « Monsanto Papers »), révélant que la multinationale avait fait signer par des chercheurs indépendants des études scientifiques rédigées par ses propres employés dans le but de minimiser les risques liés au glyphosate.
Dans l’avis de rétractation, les critiques pleuvent : omission d’inclure certaines études sur la toxicité du glyphosate et le risque de cancer à long terme, suspicion de la participation d’employés de Monsanto à la rédaction de l’article et non-divulgation d’avantages financiers perçus par les auteurs de la part de Monsanto. (...)
Mais malgré cela, elle a tout de même été citée plus de 1300 fois dans la littérature et a guidé de nombreuses agences gouvernementales – dont Santé Canada – dans les dernières décennies pour autoriser le glyphosate.
Comment a réagi l’industrie ?
Appelée à réagir à ce sujet, la société Bayer, qui a absorbé Monsanto en 2018, a rejeté les allégations en bloc. (...)
« Des milliers d’études sur l’innocuité des produits à base de glyphosate ont été réalisées, et Monsanto ne faisait pas partie de la grande majorité de ces études », a-t-elle ajouté.
Comment a réagi Santé Canada ?
Contacté par La Presse, Santé Canada a indiqué qu’il avait pris connaissance du retrait de cette étude.
Il a admis qu’il en avait tenu compte dans son corpus pour autoriser le glyphosate, mais précisé que l’Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire (ARLA) avait aussi évalué, un à un, chaque article cité par cette revue de la littérature. (...)
Que demandent les scientifiques ?
Pour Louise Vandelac, directrice du Collectif de recherche écosanté sur les pesticides, les politiques et les alternatives (CREPPA) de l’Université du Québec à Montréal, l’argument de Santé Canada est « parfaitement fallacieux ».
Un avis partagé par Sébastien Sauvé, professeur de chimie environnementale à l’Université de Montréal.
« Sur ces 1300 études [utilisées par Santé Canada pour autoriser le glyphosate], combien ont été financées par l’industrie ? », lance-t-il.
Tous les deux comparent ces stratégies de l’industrie du glyphosate à celles utilisées historiquement par les compagnies de tabac, avec le financement d’études biaisées pour semer le doute et retarder les législations antitabac.
« Je comprends que des compagnies essayent de publier des articles qui les font bien paraître. Mais ce qui est étonnant, c’est que les gouvernements continuent d’utiliser ces études financées par les fabricants pour autoriser un produit », déplore Sébastien Sauvé.
« Les décisions réglementaires sur les pesticides devraient mettre un poids plus important sur les études indépendantes que sur celles financées par l’industrie », martèle Maryse Bouchard. (...)