
Mi-août, des alpinistes ont accroché un gigantesque drapeau palestinien sur la paroi d’un sommet des Alpes. L’un de ces grimpeurs raconte à Reporterre les raisons de cette démonstration de solidarité, vite ôtée par les gendarmes.
Entre le samedi 16 et le dimanche 17 août, un collectif d’alpinistes a accroché un immense drapeau palestinien de 145 m² sur la face ouest du Petit Dru, à Chamonix-Mont-Blanc (Haute-Savoie), pour « dénoncer l’inaction des gouvernements face au génocide en cours à Gaza ».
Prouesse technique et sportive, cette action avait pour théâtre les montagnes mythiques des Drus qui culminent à 3 754 mètres dans le massif du Mont-Blanc, et n’a pas manqué de faire réagir la communauté montagnarde. Certains ont manifesté leur soutien, d’autres se sont indignés, appelant à la « neutralité » de la montagne. Ce drapeau a rapidement été décroché, dimanche 17 août, par une impressionnante opération en hélicoptère du Peloton de gendarmerie de haute-montagne (PGHM) de Chamonix. Pour Reporterre, l’un des alpinistes de ce collectif anonyme raconte le sens de cette action. (...)
Reporterre — Pourquoi avoir accroché un énorme drapeau palestinien sur une montagne ? Comment vous est venue l’idée et pourquoi avoir choisi le Petit Dru ?
Nous étions plusieurs alpinistes à ressentir une grande impuissance et un malaise face à la situation en Palestine. Il nous paraissait essentiel que la communauté de l’escalade, de l’alpinisme et de l’outdoor prenne position, qu’il y ait un geste de solidarité visible. Trop souvent, ce milieu reste silencieux et spectateur. On a voulu rappeler au monde de la montagne qu’il existe des choses plus importantes que nos petites ascensions quotidiennes.
Accrocher un drapeau palestinien sur un sommet emblématique comme les Drus permettait de marquer les esprits : les Chamoniards sont très attachés à cette montagne et on voit le drapeau depuis toute la vallée. C’était aussi une manière de bousculer ce petit monde montagnard privilégié, qui préfère rester les bras croisés loin de ces questions.
Dans ce « petit monde », certains ont réagi en disant que « la montagne n’est pas politique ». Que répondez-vous à cela ?
Dire que la montagne n’est pas politique est une illusion. L’histoire montre qu’elle a été utilisée à des fins politiques, par exemple, à l’époque des régimes fascistes, où certaines ascensions étaient dédiées à leur gloire. L’alpinisme a toujours eu une dimension symbolique. (...)
Pour nous, montagnards, c’était une façon de nous exprimer et de montrer notre solidarité. Poser un drapeau visible depuis toute la vallée, c’était un geste esthétique et collectif, à l’opposé de la logique de performance individuelle qui domine souvent ce milieu. (...)
Le drapeau pesait une dizaine de kilos et remplissait un sac entier, donc chacun devait porter du matériel lourd. Nous avions prévu de le laisser plusieurs jours et de le récupérer dès que la météo le permettrait. Finalement, le PGHM de Chamonix est intervenu très vite pour le décrocher.
Comment avez-vous perçu cette intervention rapide du PGHM ?
Nous avons été très surpris d’une intervention aussi rapide et dangereuse. Ils ont déjà essayé le jour même mais n’ont pas réussi à cause du brouillard. Le lendemain, ils ont multiplié les rotations en hélicoptère et les manœuvres complexes, en s’y reprenant à plusieurs reprises.
« C’est fou que tant de risques et d’argent aient été engagés pour masquer un geste de solidarité »
On a trouvé qu’ils prenaient de vrais risques. Nous avons entendu leurs échanges à la radio, et à un moment, l’un d’eux a dit : « C’est trop la merde, on s’arrache. » C’est vraiment ce que nous avons entendu. Il y avait des ordres stricts, venant de très haut dans la hiérarchie, et cela nous a été confirmé par nos connaissances au PGHM. C’est fou que tant de risques et d’argent aient été engagés pour masquer un geste de solidarité qui ne mettait personne en danger.
À Chamonix, il y a eu également de nombreux soutiens après cette action, et cela en a même inspiré d’autres…
Il y a eu beaucoup de soutien, en effet. Le message a été largement relayé, et des parapentistes à Chamonix ont même volé avec des drapeaux palestiniens quelques jours plus tard. Nous espérons que cette action inspirera d’autres gestes de solidarité dans le milieu outdoor. Déjà, elle a ouvert un débat. Nous pensons aussi que la communauté de l’escalade, à travers des actions comme celle-ci, peut peser sur les instances sportives, par exemple, pour exiger que les athlètes israéliens concourent sous bannière neutre.
Il y a un mois, lors de la coupe du monde d’escalade à Chamonix, des athlètes ont pu représenter Israël. Cela nous semble totalement aberrant que l’IFSC, la Fédération internationale d’escalade, n’ait pas pris de mesures, alors qu’elles avaient été mises en place pour la Russie après l’invasion de l’Ukraine, au bout de quelques semaines seulement [les athlètes russes avaient été exclus des compétitions]. Cela fait deux ans que rien n’a bougé, et ça aussi, ça nous met en colère.