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Mediapart
En Isère, le glyphosate de Bayer attaqué en justice
#pesticides #glyphosate #santé #Bayer #Monsanto
Article mis en ligne le 6 avril 2025
dernière modification le 3 avril 2025

Sabine et Thomas Grataloup, parents d’un enfant né avec de graves malformations, poursuivent Bayer, ex-Monsanto, pour avoir commercialisé son herbicide phare en camouflant sa nocivité. Le procès débute jeudi 3 avril au tribunal de Vienne.

Obtenir réparation. Mais pas seulement. Si Sabine et Thomas Grataloup poursuivent le groupe allemand Bayer Seeds SAS en justice aujourd’hui, c’est pour « faire jurisprudence » dans les affaires de pathologies liées aux pesticides, où la causalité est souvent délicate à prouver. « Si le comportement fautif de Bayer est démontré, cela pourrait aider d’autres victimes dans leurs démarches judiciaires, comme les riverains touchés par les épandages dans les champs », explique Sabine Grataloup à Mediapart, à la veille d’un procès qui s’ouvre jeudi 3 avril au tribunal de grande instance de Vienne (Isère).

La société phytopharmaceutique – qui a racheté Monsanto en 2018 et compte parmi les leaders mondiaux de la chimie – est assignée en justice pour sa responsabilité présumée dans les graves malformations présentées par son fils, Théo, à sa naissance, suite à la mise sur le marché du glyphosate. Les époux Grataloup demandent une expertise médicale sur leur enfant aujourd’hui âgé de 17 ans, afin que l’entreprise soit condamnée et les préjudices indemnisés. Car ceux-ci sont multiples et pèsent sur l’ensemble de la famille.

C’est en août 2006, alors que Sabine Grataloup est au tout début de sa deuxième grossesse, que le drame se noue. La jeune mère tient avec son mari un centre équestre, et pour l’entretien de la carrière, sans se douter de rien, utilise le glyphosate comme désherbant.

Sabine Grataloup pulvérise à la main du Glyper, un produit dont la formulation contient le glyphosate fabriqué par Monsanto. Aucune contre-indication pour la santé ni précaution d’emploi ne figurent sur l’emballage, l’herbicide est alors autorisé en France pour les particuliers et dans les lieux fréquentés par le public – ce n’est plus le cas aujourd’hui, car il est réservé aux usages agricoles.
Une famille bouleversée

Quelques mois plus tard naît Théo, avec un ensemble de malformations graves et rarissimes qui oblige les médecins à l’opérer dès ses premières vingt-quatre heures de vie. Intervention qui sera suivie d’une autre trois mois et demi plus tard, et d’une cinquantaine d’opérations chirurgicales au total à ce jour.

Lourdement handicapé, Théo est victime de ce que l’on appelle une « atrésie de l’œsophage », avec un « syndrome polymalformatif ». (...)

En quête de réponses, Sabine Grataloup s’interroge sur ce qu’elle a pu faire pendant sa grossesse et, peu à peu, découvre les effets nocifs du glyphosate.
La défense de Bayer en difficulté

Une étude épidémiologique réalisée en Argentine, en particulier, l’interpelle. C’est un rapport écrit pour la « Commission des investigations des contaminants de l’eau » de la province du Chaco, publié en 2010, qui examine les naissances sur une période de dix ans sur la commune de La Leonesa. Il montre que le nombre de malformations congénitales est multiplié par trois. Or, l’Argentine est un des pays au monde les plus gros consommateurs de glyphosate et dans la même période, la consommation du produit explose. L’herbicide conçu en 1975 par Monsanto y est épandu par voie aérienne, contaminant les populations riveraines sans distinction. (...)

Les organes défectueux de Théo – le larynx, l’œsophage et la trachée – font partie de ceux qui se forment après quatre semaines de grossesse. Précisément au terme de la période pendant laquelle sa mère, Sabine, a eu recours au glyphosate.

Il y a trois ans, l’avis rendu par la commission d’indemnisation des enfants victimes d’une exposition prénatale aux pesticides (CIEVEP), adossée à la Mutualité sociale agricole (MSA), était limpide : l’exposition in utero au glyphosate pour Théo était reconnue « du fait de l’activité professionnelle de l’un ou des deux des parent(s) », et « la possibilité du lien de causalité » avec sa pathologie établie. Le jeune homme se voyait octroyer une indemnité à hauteur d’un millier d’euros par mois. (...)

Fin mars 2025, Bayer a été condamné par un tribunal de l’État de Géorgie à verser 2,1 milliards de dollars à une personne malade de ce lymphome.

Il y a un an et demi, alors que le glyphosate allait être réautorisé pour dix ans dans l’Union européenne et que la promesse d’Emmanuel Macron faite quelques années plus tôt de l’interdire en France était définitivement enterrée, Sabine Grataloup avait fait partie des témoins de l’émission spéciale de Mediapart consacrée aux victimes de pesticides. « C’est particulièrement scandaleux », nous avait-elle dit, de ne pas tenir les engagements sur l’interdiction du glyphosate. « Maintenant, personne ne peut dire qu’il n’était pas au courant. »