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Mediapart
En Israël, les juifs libéraux en plein désarroi
#Israel #Gaza #Cisjordanie #genocide #famine #tortures #juifsliberaux
Article mis en ligne le 30 décembre 2025
dernière modification le 28 décembre 2025

Face à l’essor des suprémacistes juifs, qui détournent la tradition messianique à leurs fins politiques, et au regard des crimes commis à Gaza, le judaïsme libéral en Israël s’interroge et tente de rester audible. Quand on est à la fois juif, religieux, de gauche et israélien, comment vit-on le fait que l’image du judaïsme en Israël soit de plus en plus confisquée par des suprémacistes convaincus que l’anéantissement de Gaza constitue une mission de droit divin ?

Au début du mois d’octobre de cette année, l’État hébreu célébrait Kippour, le jour du « grand pardon » où l’on doit se retourner sur ses fautes de l’année passée. Et le 7 octobre coïncidait avec la fête de Soukkot, pendant laquelle les rues de Jérusalem se couvrent de cabanes et de tentes dont la fragilité est censée rappeler à chacun la précarité de son existence sur Terre…

Pour Bitya Rozen-Goldberg, qui enseigne le Talmud, le Midrash et la Halakha (les prescriptions, coutumes et traditions) et travaille également comme guide à Jérusalem, il existe une « schizophrénie totale entre la liturgie et la morale ». « Comment peut-on prétendre demander à Dieu d’être pardonné quand, au même moment, on commet des choses impardonnables ? Comment peut-on continuer à prier comme avant alors que sont commises de telles horreurs au nom du judaïsme ? Cette question me dévore. Notre tradition est faite d’autre chose que ce que ces psychopathes veulent faire sortir du Texte. »

Toutefois, ajoute-t-elle aussitôt, « il n’y a qu’une poignée de personnes ici avec lesquelles il est possible de parler de ce que Gaza provoque vraiment sur l’être juif. En plus, je me méfie de l’usage de mes paroles que peuvent faire les antisémites en France… ».

Quand on est à la fois juif, religieux, de gauche et israélien, comment vit-on le fait que l’image du judaïsme en Israël soit de plus en plus confisquée par des suprémacistes convaincus que l’anéantissement de Gaza constitue une mission de droit divin ?

Au début du mois d’octobre de cette année, l’État hébreu célébrait Kippour, le jour du « grand pardon » où l’on doit se retourner sur ses fautes de l’année passée. Et le 7 octobre coïncidait avec la fête de Soukkot, pendant laquelle les rues de Jérusalem se couvrent de cabanes et de tentes dont la fragilité est censée rappeler à chacun la précarité de son existence sur Terre…

Pour Bitya Rozen-Goldberg, qui enseigne le Talmud, le Midrash et la Halakha (les prescriptions, coutumes et traditions) et travaille également comme guide à Jérusalem, il existe une « schizophrénie totale entre la liturgie et la morale ». « Comment peut-on prétendre demander à Dieu d’être pardonné quand, au même moment, on commet des choses impardonnables ? Comment peut-on continuer à prier comme avant alors que sont commises de telles horreurs au nom du judaïsme ? Cette question me dévore. Notre tradition est faite d’autre chose que ce que ces psychopathes veulent faire sortir du Texte. »

Toutefois, ajoute-t-elle aussitôt, « il n’y a qu’une poignée de personnes ici avec lesquelles il est possible de parler de ce que Gaza provoque vraiment sur l’être juif. En plus, je me méfie de l’usage de mes paroles que peuvent faire les antisémites en France… ». (...)

Dans le bureau rempli à ras bord de livres de son appartement de Jérusalem, Daniel Epstein ressemble à un rabbin orthodoxe : « Certaines personnes me disent qu’elles ne me reconnaissent plus, parce que j’aurais perdu ma modération. Mais c’est bien parce que je considère que la religion est un absolu – mais un absolu de la responsabilité – que je suis devenu extrême dans ma critique de l’extrémisme. »

L’homme dit « perdre le sommeil et être tenaillé par l’angoisse des jours et des nuits » devant « l’indifférence face à la souffrance palestinienne. Cette indifférence se fonde sur cet argument dangereux que la moindre critique à l’égard de l’armée alimenterait la propagande du Hamas. Mais on doit dissocier le soutien au droit du peuple juif à exister sur cette terre et le soutien à la politique du gouvernement israélien. Il n’est pas dans l’intérêt des juifs de la diaspora d’être à la remorque de la politique israélienne. Ils en deviennent des complices, même s’ils ne portent pas d’armes ».

« Ce qui se fait à Gaza, c’est au nom du nationalisme, mais aussi du judaïsme. Cela me torture », enchaîne Gabriel Abensour, membre d’un petit groupe nommé Smol Emuni (« la gauche croyante ») qui tente d’offrir un contre-discours à la confiscation du judaïsme par les suprémacistes juifs. (...)

On utilise le langage religieux pour justifier de rompre avec le paradigme de la démocratie et des droits humains.

Bitya Rozen-Goldberg, rabbin

Raphaël Goldberg ajoute : « Le judaïsme messianique a toujours été présent à l’extrême droite. Mais je n’ai pas vu venir le raz-de-marée, ni le phagocytage de la droite nationaliste par le courant religieux et messianique. D’autant que ce courant s’était pris une énorme claque avec le désengagement de Gaza en 2005. »

Pour Gabriel Abensour, « l’affirmation contemporaine du sionisme religieux » est en réalité une forme de détournement du « messianisme juif qui nous a portés pendant deux millénaires ». (...)

Fantasmes militaristes

Bitya Rozen-Goldberg souligne aussi « le risque – pointé il y a déjà longtemps dans une lettre magnifique de Martin Buber à Franz Rosenzweig – d’un usage laïcisé du langage religieux qui facilite un détournement fasciste du religieux. Par exemple, pour justifier de prendre possession de terres en Palestine mandataire, certains s’appuient sur un vocabulaire religieux qu’on peut traduire par “sauver les terres”. En donnant une autorité divine à des actes politiques ou étatiques, on peut s’autoriser le pire. On utilise le langage religieux pour justifier de rompre avec le paradigme de la démocratie et des droits humains ».

Cependant, pour le rabbin Daniel Epstein, « des gens comme Itamar Ben Gvir ou Bezalel Smotrich ne sont pas des mutations du judaïsme qui lui seraient totalement étrangères. À l’époque du Second Temple, ceux qu’on appelait les zélotes ressemblaient, par leur radicalité et leur volonté de contrôler le politique, aux figures qu’on a aujourd’hui sous nos yeux ». (...)

La plupart des Israélien·nes à la fois croyant·es et progressistes soulignent un décalage, voire un gouffre, entre une tradition forgée dans des époques où les juifs étaient en situation de minorité, souvent persécutée, et un monde contemporain où la situation est tout autre.

« La pensée juive s’est constituée à distance d’un pouvoir souverain. L’enjeu est de savoir ce que devient une pensée de l’exil et de la minorité à l’intérieur d’un pouvoir souverain dirigé par des juifs », juge Raphaël Goldberg.

Érosion morale (...)

Face à l’essor des suprémacistes juifs, qui détournent la tradition messianique à leurs fins politiques, et au regard des crimes commis à Gaza, le judaïsme libéral en Israël s’interroge et tente de rester audible. (...)