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le vent se lève
En Suisse, le choix de relever le montant des pensions, pas l’âge de départ à la retraite
#Suisse #referendum #retraites
Article mis en ligne le 26 mars 2024
dernière modification le 25 mars 2024

Les syndicats suisses ont remporté un référendum national sur la revalorisation des pensions de retraite, neutralisant au passage une proposition adverse dont le but était de reculer l’âge de départ à la retraite. Le vote reflète une division évidente entre les classes sociales, les électeurs les moins rémunérés et les moins éduqués étant passé outre les menaces brandies par les dirigeants d’entreprises. Par Chris Kelley, traduction Piera Simon-Chaix [1].

Par le biais d’une « initiative populaire », les citoyens ou les organisations politiques suisses peuvent demander l’organisation d’un vote national sur n’importe quel sujet, sous réserve de récolter les signatures d’au moins 100 000 citoyens adultes. Le 3 mars dernier, les votants suisses se sont rendus aux urnes pour se prononcer sur deux initiatives liées, mais distinctes. L’une était proposée par l’aile de la jeunesse du Parti libéral de centre droit, avec pour ambition de reculer l’âge de départ à la retraite, tout d’abord de 65 à 66 ans, puis en fonction de l’espérance de vie moyenne.

L’autre proposition se situait diamétralement à l’opposé : plutôt que de reculer l’âge de départ, l’initiative de l’Union syndicale suisse proposait d’augmenter les pensions et tout particulièrement d’instituer un « treizième mois de pension » analogue au salaire mensuel supplémentaire inscrit dans la plupart des conventions collectives et souvent versé à la fin de chaque année civile. (...)

Si la collecte des signatures nécessaires n’est pas un obstacle infranchissable pour les acteurs politiques établis, les initiatives sont quant à elles rarement validées, ce qui contribue à forger la réputation d’une Suisse caractérisée par la lenteur de ses évolutions politiques. Dans toute l’histoire suisse, seules 26 initiatives populaires sur plus de 200 ont été intégrées à la législation, et les initiatives progressistes se comptent sur les doigts d’une main. Il semblait improbable que le programme syndical de revalorisation des pensions puisse être validé et de prime abord, l’establishment politique s’est peu inquiété. L’exécutif national, constitué du Parlement, majoritairement à droite, et du Conseil fédéral multipartite, a négligé d’introduire une contre-proposition, une stratégie habituellement utilisée pour saper les initiatives en proposant aux votants une « option modérée ».
L’attaque et la défense (...)

les syndicats ont décidé d’axer en priorité leur campagne sur leur propre proposition d’un versement de pension supplémentaire.

Les syndicats ont utilisé un vocabulaire de « solidarité du bon sens » et de populisme économique, intégrant la question dans le cadre des biens communs. Se refusant de manière générale à mettre l’accent sur des groupes démographiques ou des identités spécifiques, leur rhétorique s’est concentrée sur le fait que tout un chacun, riches exceptés, aurait à gagner à leur proposition. (...)

À la surprise générale, et même de celle des représentants syndicaux, une campagne remarquable par son ampleur et son investissement du terrain a commencé à prendre forme. La proposition avait visiblement touché une corde sensible. Une sorte dynamique s’est mis en branle, avec des syndicalistes présents sur les marchés pour distribuer des prospectus, des manifestations organisées en toute hâte, voire des permanences assurées lors d’événements sportifs locaux tels que des matchs de hockey.

En ce qui concernait le budget de la campagne, les opposants aux syndicats avaient clairement l’avantage. (...)

Le jour du vote enfin arrivé, le 3 mars, les premières estimations ont suffi à envoyer une onde de choc à travers l’ensemble du paysage politique. Au fil du dépouillement, il est devenu de plus en plus évident qu’en dépit de tous les pronostics, l’union syndicale avait gagné haut la main. La proposition du parti libéral de reculer l’âge de départ n’a pas passé la barre des urnes, avec 75 % d’abstention, tandis que la proposition des syndicats d’augmenter les pensions bénéficiait de 58 % de votes favorables. C’était la première fois, dans toute l’histoire suisse, que les syndicats, ou d’ailleurs tout autre acteur politique, remportaient une votation pour une initiative populaire visant à l’extension de l’état-providence.

Les grandes entreprises et la droite étaient blêmes. (...)

Le mouvement syndical devrait cependant être attentif à un signe d’avertissement, au demeurant peu surprenant eu égard au sujet : les plus jeunes votants se sont montrés plus sceptiques face à la proposition des syndicats. Cette question est particulièrement importante puisque le financement de la mesure doit encore être déterminé par le Parlement national, où la majorité de droite / centre droit pourrait tenter de faire reposer les coûts sur les épaules des travailleurs. Si les syndicats sont certainement au fait de ce risque, puisque l’augmentation des pensions faisait, et fait toujours, partie d’une campagne plus vaste visant à « augmenter les salaires, les pensions et le pouvoir d’achat », il s’agit d’une question à ne pas perdre de vue.
Les plaques tectoniques seraient-elles en train de s’ébranler ? (...)

Quoi qu’il en soit, les syndicats suisses auront du pain sur la planche dans les années à venir. Qu’il s’agisse des luttes qui se profilent dans le secteur du bâtiment, de l’organisation de l’encore chaotique secteur de la santé ou des votations populaires sur des questions qui concernent directement la classe laborieuse. Chacune de ces luttes sera différente, mais poursuivre l’élaboration d’une solidarité de bon sens sur les lieux de travail et lors des scrutins pourrait constituer un combo gagnant en cette période politique sans précédent.