
Le camp de réfugiés palestiniens de Yarmouk, à Damas, est réputé comme le plus grand du Moyen-Orient. Devenu un quartier de la capitale à part entière, il n’est plus que l’ombre de lui-même après treize années de guerre civile.
Damas (Syrie).– L’asphalte a disparu des routes ; les vitres des fenêtres ; les murs des immeubles. Le paysage est tapissé, sur des centaines de mètres, de poussière. Yarmouk, dans la banlieue sud de Damas, n’est plus que l’ombre de lui-même. Ce camp de réfugié·es palestinien·nes, réputé comme le plus grand du Moyen-Orient, devenu au fil des décennies un quartier mixte de l’agglomération damascène, peuplé par près de 160 000 personnes avant 2011, est rendu à l’état de décor fantomatique après treize années de guerre civile.
Ses bâtiments, criblés d’impacts de balles et de roquettes, en portent encore les séquelles (...)
Depuis, rien n’a été reconstruit. Pas une seule aide pour les habitant·es. Privé·es d’eau courante et d’électricité, écrasé·es par l’augmentation des prix et par la crise économique qui sévit à travers le pays, ils et elles vivent dans des conditions extrêmement « difficiles », décrit Ziad Sakar.
Le supplice vécu sous Assad
Depuis la chute du dictateur Bachar al-Assad, le 8 décembre, il ressent une « grande joie » d’être défait de la terreur de l’ancien régime dont il a côtoyé l’enfer carcéral. « Avant, nous avions peur de tout le monde, même des murs », dit-il, expliquant avoir été emprisonné après une arrestation arbitraire au checkpoint tenu par des militaires syriens à l’entrée du camp. En prison, « si tu veux aller aux toilettes, on te tape. Si tu veux manger, on te tape. Si tu es malade, on te tape. Si tu dis bonjour, on te tape, résume-t-il. Palestiniens comme Syriens, nous subissions le même sort ». (...)
Bachar al-Assad, « le boucher de Damas », a fait subir un supplice incommensurable aux habitant·es de Yarmouk, pour la plupart des descendant·es de la Nakba, la « catastrophe » au cours de laquelle près de 700 000 d’entre eux ont été chassés de leurs terres à la fondation de l’État d’Israël, en 1948. (...)
À partir de l’été 2013, ce petit bout de territoire d’à peine 2 kilomètres carrés est totalement assiégé par l’armée du régime, empêchant les quelques milliers d’habitant·es resté·es sur place d’accéder à la nourriture, à l’eau et aux produits de première nécessité. (...)
« Jamais nous ne sommes parties ! En 1948, nos parents ont quitté la Palestine, ils pensaient revenir au bout de quelques jours. Et nous sommes encore là. Nous n’allions pas reproduire la même erreur, explique la petite dame, courbée par l’âge. On ne meurt qu’une fois, alors autant mourir chez soi. »
Le siège ? « Les conditions étaient horribles. Nous n’avions pas à manger, pas à boire, pas de médicaments. C’était atroce », dit-elle. Les seuls ravitaillements sont envoyés, par-dessus les murs bâtis pour sceller le siège, par l’UNRWA. Des « colis de la mort », décrit la cadette, Asma, 60 ans. Les tireurs d’élite du régime s’acharnent à cibler quiconque s’en approche. (...)
Plus tard, en 2015, les combattants de l’État islamique prennent le contrôle de nombreuses banlieues de Damas, dont Yarmouk. Les exactions contre les civils s’intensifient. (...)
À la libération du camp, Yarmouk n’est plus qu’une cité fantôme. Mais peu à peu, quelques familles reviennent. (...)
Yarmouk occupe une place à part dans l’exil des Palestinien·nes. Bâti à partir du milieu des années 1950, pour accueillir les exilés de la Nakba, le camp non officiel, géré par un comité local dépendant du gouvernorat de Damas, devient rapidement un espace de reconstruction du mouvement national palestinien qui lui vaut le surnom de « capitale de la diaspora ». Parce que les Palestinien·nes jouissent en Syrie de relativement plus de droits que dans les pays voisins et que le camp est situé à proximité directe du centre-ville de la capitale syrienne, le quartier et sa population s’intègrent parfaitement à l’agglomération damascène. (...)
Mais la situation se resserre, après la prise de pouvoir de Hafez al-Assad, en 1970. « Les habitants pouvaient jouir d’une liberté dans leur vie politique pourvu que ça reste dans les lignes rouges du régime et que ça ne sorte pas de l’espace du camp et de la question palestinienne », ajoute la chercheuse.
Malgré les soubresauts de la lutte palestinienne et des conflits de la région et les tiraillements entre les différentes tendances politiques palestiniennes, Yarmouk a offert un semblant de chez-soi à des hommes et des femmes qui n’en avaient plus. « Nous ne voulons pas retourner de nouveau en exil. Aidez-nous à reconstruire », implore Khalil al-Amayreh.