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Enquête sur l’écofascisme : comment l’extrême droite veut récupérer l’écologie
#ecofascisme #extremedroite
Article mis en ligne le 25 octobre 2023
dernière modification le 24 octobre 2023

« Tuer les envahisseurs » pour « sauver l’environnement », « sauvez les abeilles pas les migrants »... L’extrême droite s’approprie les fondements de l’écologie pour légitimer ses discours de haine. L’écofascisme se propage en France, et le péril est imminent.

[1/2 La menace écofasciste]

- L’écofascime est déjà une réalité. En Europe comme en France, l’extrême droite accapare les fondements de l’écologie pour justifier ses discours identitaires et nationalistes. Qui sont les écofascistes ? Pourquoi s’approprient-ils l’écologie ? Une alliance avec Éric Zemmour est-elle possible ? Reporterre a mené l’enquête, en deux parties. (...)

À l’extrême droite, aujourd’hui, une nébuleuse de groupuscules s’accapare les thèses de l’effondrement et utilise l’écologie pour nourrir leur obsession identitaire. La menace est réelle et la situation inédite, alimentée à la fois par le péril climatique, la crise migratoire et la banalisation des discours xénophobes. La tentation « écofasciste » est, plus que jamais, d’actualité.

Certains groupes appellent à créer « des Zones identitaires à défendre » (Zid), d’autres achètent des fermes à la campagne pour « défendre les terroirs », d’autres s’arment lourdement en prévision d’une hypothétique guerre civile. Certains apprennent les rudiments de la vie sauvage en pleine nature et se revendiquent de la décroissance. Fruit d’un bricolage idéologique déconcertant, ces mouvances mêlent culture de l’alimentation saine et fascination pour les armes, haine des migrants et jardinage, virilisme et néopaganisme [2].

Les autorités commencent à y être attentives. Le coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme, Laurent Nuñez, évoque « un mouvement qui se développe », à l’image des suprémacistes blancs aux États-Unis, et qui « n’hésite pas à appeler à des techniques de clandestinité et à la pratique du survivalisme ». Dans le contexte de la catastrophe environnementale, ces courants disparates marquent une recomposition en profondeur du mouvement fasciste. (...)

Dès 1999, un des idéologues de l’extrême droite, Guillaume Faye, prédisait « un choc des civilisations » et une « convergence des catastrophes », économique, géopolitique et environnementale. Pour les fascistes, la prophétie serait en train de se réaliser. La crise climatique accélérerait le « grand remplacement », théorie popularisée par l’écrivain Renaud Camus qui prétend que les « peuples européens », dits « de souche », seront peu à peu remplacés par les peuples issus de l’immigration. Pour y résister, les écofascistes pensent qu’il va falloir accaparer et protéger les rares territoires où les« populations de souche » pourraient encore vivre, et lutter contre « les hordes de migrants » qui fuient les autres continents devenus inhospitaliers. (...)

L’écologie sert ici de paravent à une pensée ségrégationniste. (...)

Au creux de ces théories résident la haine de l’autre, le culte de la frontière et la hantise du métissage. (...)

Par écofascisme, il faudrait entendre une politique désireuse de préserver les conditions de vie sur Terre, mais au profit exclusif d’une minorité, blanche de surcroît. (...)

Cette vision n’est pas seulement théorique. Elle se traduit aussi en actes. (...)

Récemment, en France, plusieurs affaires judiciaires ont révélé l’imminence du péril. (...)

De manière générale, le courant survivaliste est très perméable aux idées d’extrême droite. Il est également bien présent au sein de la police. (...)

Partie 2 — Du XIXe siècle à Zemmour, l’écofascisme contamine le débat politique(...)

Nazisme, liens avec l’écologie… Pour comprendre l’essor de l’écofascisme, il faut remonter aux sources de cette idéologie. La menace est réelle, tant cette doctrine fait écho à certaines idées du candidat Éric Zemmour. (...)

Au sein des milieux écologistes et émancipateurs, on a tendance à minimiser cette lame de fond et à n’y voir qu’un mouvement condamné à la marginalité. On aurait tort. La confusion inédite qui règne aujourd’hui pourrait changer la donne. « Dans le clair-obscur surgissent les monstres », écrivait Antonio Gramsci. (...)

« Dans l’histoire, l’écologie n’a pas forcément été synonyme d’émancipation, elle contient aussi en elle les germes d’une pensée profondément réactionnaire avec l’éloge d’une nature jugée immuable, le contrôle de la natalité ou le rejet des minorités », dit à Reporterre l’historien Stéphane François. (...)

La pensée écofasciste a retrouvé dès les années 1980 un terrain fertile, notamment en France. Avec le concours de la Nouvelle Droite et de l’idéologue déterminant Alain de Benoist. Ces courants ont mené ce qu’ils appellent « une lutte métapolitique », un combat culturel extraparlementaire qui considère la transformation idéologique comme une précondition au changement politique. (...)

En quarante ans, ces idéologues ont creusé peu à peu leur sillon et ont réussi à imposer dans le débat public leur obsession identitaire, qu’ils ont reliée aux questions écologiques. Ils ont notamment introduit le thème de la décroissance à l’extrême droite et construit une nouvelle doctrine autour de l’écologie de la frontière.

Dans son récent livre La grande confusion, le sociologue Philippe Corcuff estime qu’ils ont gagné la bataille des idées. Ils ont réussi à « désagréger des repères politiques antérieurement stabilisés » et « développé des passerelles discursives entre des courants que l’on pouvait juger auparavant antagonistes ».

Une porosité avec les courants plus classiques de l’écologie (...)

« Les écologistes ont un gros travail de clarification idéologique à mener s’ils veulent éviter que certains milieux d’extrême droite se réapproprient leurs batailles, estime Antoine Dubiau, du blog Perspectives printanières. C’est une menace à prendre très au sérieux. " (...)

Récemment, Streetpress a révélé comment un groupe d’extrême droite, soutien actif d’Éric Zemmour, s’entraînait au tir sur des caricatures racistes de juifs, de musulmans et de Noirs dans une forêt de l’ouest de la France. Le groupe se fait appeler la « Famille Gallicane ». Composé de plusieurs dizaines de membres actifs, il rassemble quelques centaines de sympathisants. Dans leur cercle de discussion, ces adhérents font l’apologie du terroriste Brenton Tarrant — auteur des attentats de Christchurch, en Nouvelle-Zélande, en 2019 —, qui se réclamait de l’écofascisme et appelait à se communautariser. (...)

Comme l’annonçait déjà André Gorz dès les années 1970, « la grande bataille a commencé. Ce sera leur écologie ou la nôtre ».