Dans une forêt limousine de plus en plus exposée aux appétits des méga-scieries et des usines de pâte à papier ou de pellets, les initiatives se multiplient pour assurer la survie d’une filière du bois plus artisanale et plus durable.
Saint-Bonnet-Elvert (Corrèze), Saint-Georges-la-Pouge, Saint-Georges-Nigremont (Creuse).– Hans Kreusler ne fait pas mystère de son allégeance. S’il travaille pour de multiples propriétaires forestiers, pour le compte desquels il rédige des documents de gestion, établit des diagnostics ou organise des coupes, il ne se reconnaît qu’une seule patronne : la forêt.
Arpentant une parcelle de chênes et de hêtres qui lui a été confiée voilà près de quatre décennies, près du village de Saint-Georges-la-Pouge, le gestionnaire de forêts indépendant multiplie les haltes, comme pour saluer de vieux amis. (...)
Plus loin, le sexagénaire fait les présentations avec un chêne de belle prestance qui, lui, n’échappera pas à la scie. « Il a été blessé pendant des travaux et commence à pourrir. On va le couper pour sauver le bois, qu’on va pouvoir vendre à un bon prix », indique-t-il. Plus loin encore, il désigne des jeunes pousses de hêtres, qui « n’ont survécu au dernier gel que parce qu’il y a un couvert forestier pour les protéger ».
Hans Kreusler et Alice de Gournay, gestionnaires de forêts indépendants et membres fondateurs du Collectif forestiers environnement limousin. (...)
Une philosophie à l’opposé de la pratique systématique de la coupe rase, souvent suivie de la replantation en rangs serrés de résineux, façon champs de blé.
Cette exploitation optimisée qu’il voit se développer en Limousin l’attriste. (...)
Pour défendre ses principes, Hans a participé en 1993 à la fondation de l’Association nationale des techniciens et gestionnaires forestiers indépendants (Anatef). Elle regroupe une quarantaine de praticiens autour d’une charte déontologique prônant une gestion durable de la forêt. Puis, en 2018, il cofonde le Collectif forestiers environnement Limousin (Cofel), dont les six membres s’engagent à éviter les coupes rases et l’utilisation de pesticides, ainsi qu’à promouvoir une sylviculture douce.
Mobilisations citoyennes et acceptation forestière (...)
Les exploitants forestiers les plus éclairés, assure-t-il, réalisent bien qu’ils « finiraient par ne plus trouver de bois si des gestionnaires n’en réservaient pas ». La forêt exige que l’on prenne son temps. En plus de quarante ans d’activité dans le Limousin, Hans Kreusler n’a pas « récolté » beaucoup de chênes, l’arbre roi de ses forêts, arrivés à terme. Son labeur est aussi un legs pour les générations futures. (...)
Faîte et Racines est née en juillet 2018 de la réaction d’habitant·es du sud de la Corrèze à une campagne d’élagage des bords de route ordonnée par le conseil départemental. Une campagne devenue prétexte au démarchage des petits propriétaires par les coopératives forestières et à la multiplication des coupes. (...)
« Nous n’étions pas des professionnels de la forêt, mais on voyait bien qu’il y avait danger, complète Marion. On s’est dit que la première chose à faire, c’était d’acheter des parcelles de foncier forestier, pour les extraire de la logique industrielle et leur éviter le pire. » Le petit groupe lance donc une première souscription fin 2018, dont les résultats dépassent toutes ses espérances, puisque quelque 60 000 euros sont récoltés en à peine quatre mois, avec des dons venus de toute la France et au-delà.
L’association doit cependant faire face à une certaine défiance au niveau local. (...)
Le propriétaire confiera à nos confrères de Bastamag avoir reçu, quelques jours avant la conclusion de la vente, la visite de trois gendarmes en uniforme et de deux agents des renseignements territoriaux, venus lui déconseiller de signer avec des « anarchistes écologistes ».
Cinq ans plus tard, Faîte et Racines n’en a pas moins trouvé sa place dans le Limousin. (...)
Son acceptation, le groupe la doit en partie à son activité de sciage. L’achat d’une scie mobile à un professionnel cantalou répondait initialement au besoin de maintenir une capacité de transformation du bois en petits volumes et en dehors des gabarits industriels, après la fermeture de la dernière scierie familiale du sud de la Corrèze. (...)
la scie mobile est aussi devenue un formidable sésame pour approcher un public d’agriculteurs, de chasseurs, de retraités jusque-là peu concernés par les sorties pédagogiques en forêt et autres activités de l’association. (...)
Les chantiers de sciage sont également l’occasion de battre en brèche les préjugés. « Quand tu bosses dur sous la pluie, un jour férié, tu cesses d’être un zadiste ou un terroriste, tu deviens quelqu’un de crédible », commente Antoine. Au bord de la départementale, Geoffrey de Tschudy, salarié agricole d’une ferme voisine du chantier, confirme, admiratif : « Ce ne sont pas des fainéants, ils font un boulot sérieux. Les planches de peuplier vert, c’est du lourd, les filles, elles sont solides pour porter ça. »
Sylviculture à couvert continu (...)
« Nous avons profité de l’aide que nous proposait le CRPF pour monter notre association syndicale libre de gestion forestière (ASLGF), affirme Jean-Jacques. Mais alors que leur optique est plutôt de favoriser l’exploitation, en ouvrant collectivement des pistes de débardage par exemple, nous, on a pris le chemin inverse, celui de la conservation. » C’est ainsi que voit le jour, le 10 octobre 2019, l’ASLGF Forêts vivantes du Sud-Est creusois, forte de dix adhérents et d’un patrimoine forestier cumulé de 30 hectares.
L’association affiche pour objectifs la promotion d’une sylviculture à couvert continu, une gestion favorisant des forêts mélangées en espèces et en âges, l’ajustement des récoltes à la nécessité de maintenir des micro-habitats pour la faune et la flore, la préservation des sols en évitant le dessouchage et l’usage d’intrants ou d’équipements lourds… (...)
Cinq ans après sa création, l’association regroupe désormais vingt-six adhérents et 110 hectares de forêt. (...)