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États généraux de l’information : « Bolloré peut dormir tranquille »
#medias #EtatsGenerauxdelInformation #FondspourunePresseLibre #extremedroite #Bollore
Article mis en ligne le 27 septembre 2024

Les conclusions des États généraux de l’information ont été remises à Emmanuel Macron. Pour le chercheur Alexis Lévrier, elles ne touchent pas au cœur du problème : la concentration des médias aux mains de milliardaires qui ont un projet politique

Grand chantier voulu par Emmanuel Macron, les États généraux de l’information ont mobilisé 22 assemblées citoyennes, 174 auditions, des dizaines de contributions écrites, et ce, pendant 9 mois de travaux. Leurs préconisations ont été remises au président de la République, jeudi 12 septembre. Répondent-elles à « l’urgence démocratique », alors que le journalisme et le droit à l’information sont menacés ? Entretien avec le chercheur Alexis Lévrier (...)

Comment avez-vous reçu les conclusions de ces États généraux de l’information voulus par Emmanuel Macron ?

Il s’agit d’une immense déception. Concernant les médias, la seule promesse de campagne du candidat Macron, c’était ces États généraux de l’information (EGI). Ils ont été lancés d’une manière très solennelle, puis de nombreux intervenants de qualité ont participé aux groupes de travail. Le rapport pointe justement une urgence démocratique à protéger et à développer le droit à l’information. Or les solutions proposées ne sont pas à la hauteur. L’extrême droite est aux portes du pouvoir et elle a des projets très précis pour les médias : faire taire l’audiovisuel public et s’en prendre au contre-pouvoir journalistique. Regardons ce qu’a fait l’extrême droite en Hongrie, dans l’Amérique de Trump, en Italie avec Meloni. La France est sur le point de basculer. Il fallait des solutions fortes pour réguler les médias, renforcer l’audiovisuel public, lutter contre la concentration des groupes, rendre du pouvoir aux journalistes face à leurs actionnaires. Là, malheureusement, on a le sentiment que la recherche du consensus, la volonté de ne pas déplaire au pouvoir politique ont conduit à des propositions en demi-teinte. (...)

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Grand chantier voulu par Emmanuel Macron, les États généraux de l’information ont mobilisé 22 assemblées citoyennes, 174 auditions, des dizaines de contributions écrites, et ce, pendant 9 mois de travaux. Leurs préconisations ont été remises au président de la République, jeudi 12 septembre. Répondent-elles à « l’urgence démocratique », alors que le journalisme et le droit à l’information sont menacés ? Entretien avec le chercheur Alexis Lévrier.

Comment avez-vous reçu les conclusions de ces États généraux de l’information voulus par Emmanuel Macron ?

Il s’agit d’une immense déception. Concernant les médias, la seule promesse de campagne du candidat Macron, c’était ces États généraux de l’information (EGI). Ils ont été lancés d’une manière très solennelle, puis de nombreux intervenants de qualité ont participé aux groupes de travail. Le rapport pointe justement une urgence démocratique à protéger et à développer le droit à l’information. Or les solutions proposées ne sont pas à la hauteur. L’extrême droite est aux portes du pouvoir et elle a des projets très précis pour les médias : faire taire l’audiovisuel public et s’en prendre au contre-pouvoir journalistique. Regardons ce qu’a fait l’extrême droite en Hongrie, dans l’Amérique de Trump, en Italie avec Meloni. La France est sur le point de basculer. Il fallait des solutions fortes pour réguler les médias, renforcer l’audiovisuel public, lutter contre la concentration des groupes, rendre du pouvoir aux journalistes face à leurs actionnaires. Là, malheureusement, on a le sentiment que la recherche du consensus, la volonté de ne pas déplaire au pouvoir politique ont conduit à des propositions en demi-teinte.

À lire aussi : « La crise politique que nous vivons prouve la réussite du combat civilisationnel mené par Vincent Bolloré »
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Relevez-vous tout de même des préconisations positives ?

Les propositions qui portent sur l’éducation aux médias – même si c’est peu original – sont bonnes. Il faut bien sûr accroître cette éducation à l’école, à l’université ou dans les entreprises. Je salue également la proposition de créer un statut juridique de « société à mission d’information » qui implique une participation des lecteurs ou abonnés, de même qu’un ratio important de journalistes formés dans des écoles reconnues et titulaires de cartes de presse. Il y a des idées pour mieux défendre les modèles économiques de la presse, pour améliorer la protection du secret des sources, pour renforcer l’indépendance des rédactions, pour généraliser les comités d’éthique. Mais en l’état, l’ensemble reste vague et peu contraignant pour les actionnaires… (...)

Que pensez-vous des propositions concernant les plates-formes et les GAFAM ?

Il est question ici (c’est la proposition n°8) d’une contribution obligatoire des plates-formes numériques sur la publicité digitale, c’est une bonne chose. C’est l’une des grandes raisons de la crise des médias aujourd’hui : le passage au numérique n’a pas bien pris en compte la question de la viabilité économique. La gratuité des médias fut une erreur terrible au début de l’ère d’Internet et désormais, les ressources publicitaires sont captées par les fournisseurs de services au détriment de ceux qui produisent les contenus. L’idée d’une contribution obligatoire est donc positive, mais le pouvoir politique aura-t-il réellement la volonté de la mettre en place, c’est la question.

Que pensez-vous des réponses apportées face à l’offensive de Vincent Bolloré et autres magnats des médias ?

C’est là que le bât blesse : le rapport ne touche pas au pouvoir des actionnaires. Or le principal problème en France, c’est la concentration des médias aux mains de milliardaires qui ont un projet directement politique. (...)

Le rapport des États généraux ne prend pas la mesure de ce phénomène : l’espace informationnel penche aujourd’hui de plus en plus en faveur de ce camp. De manière plus générale, les oligarques respectent de moins en moins le travail des journalistes. L’offensive de Bolloré agit de ce point de vue comme un révélateur, et produit un effet d’entraînement (...)

Mais il y a bien une proposition pour lutter contre la concentration des médias…

La proposition numéro neuf est en effet positive dans son intention : celle d’assurer le pluralisme des médias et de limiter leur concentration. Il s’agirait de prendre en compte le « reach » mesurant la capacité de chaque empire médiatique à atteindre de manière globale les lecteurs, auditeurs et spectateurs. On déterminerait ainsi un seuil unique et plurimédia qu’un groupe de presse ne pourrait dépasser. Cette idée est intéressante et part d’un constat pertinent : nos dispositifs anti-concentration datent de 1986 et sont totalement obsolètes en raison de l’évolution du paysage médiatique et notamment d’un basculement massif vers le numérique.

Reste à savoir quelle traduction concrète pourrait en être faite par le pouvoir politique. (...)

Le « droit d’agrément » des journalistes sur les nominations des directeurs de rédaction par les actionnaires fait polémique. Quel est l’enjeu ?

C’est le point essentiel, et celui qui me rend le plus sceptique. On peut même parler de reddition à propos de la version finale de ce rapport, qui a fait le choix d’écarter les propositions permettant de renforcer le pouvoir des rédactions face aux actionnaires. (...)

Plusieurs députés de la majorité présidentielle étaient initialement signataires de cette proposition, mais ils ont finalement choisi de lui faire échec en renvoyant à plus tard, au moment de la restitution des États généraux de l’information. Ce droit d’agrément aurait dû être dans les conclusions des EGI or il n’y est pas ! Les groupes de travail l’ont proposé, mais il a été écarté par le comité de pilotage. Ce qu’il en reste, c’est que l’actionnaire sera simplement tenu d’informer la rédaction de son intention pour désigner un nouveau directeur de la rédaction. C’est d’une immense hypocrisie ! (...)

J’ignore s’il y a eu des pressions, et il ne m’appartient pas de le dire. Mais nous sommes dans un système – celui de la Ve République – où le devenir des médias dépend étroitement du bon vouloir du pouvoir politique, et notamment du pouvoir présidentiel. Cette influence avait été perceptible au moment des États généraux de la presse écrite lancés par Nicolas Sarkozy en 2008. On voit mal pourquoi il en aurait été autrement cette fois-ci, d’autant qu’Emmanuel Macron a toujours assumé une conception du pouvoir très verticale, ce qui transparaît en permanence dans son attitude vis-à-vis des médias. (...)

Notons que Michel Barnier, premier ministre, a lui-même donné sa première grande interview de presse au JDD. Aujourd’hui, on a le sentiment que le pouvoir a renoncé à réguler les médias et à s’opposer à Vincent Bolloré.