
La chaîne d’information la plus regardée du continent a été secrètement rachetée par des proches de Viktor Orbán. Pourrait-elle devenir un outil de propagande ? Éléments de réponse avec l’historien des médias Alexis Lévrier.
(...) La chaîne est née d’une impulsion politique en 1993, après la première guerre du Golfe : l’Europe voulait répondre à l’hégémonie de la chaîne américaine CNN, qui avait propagé de la désinformation au bénéfice des États-Unis durant le conflit. L’idée était de faire émerger un équivalent européen, dont les informations ne seraient pas contrôlées par le parapluie américain. Aujourd’hui, c’est une chaîne relativement méconnue en France mais très présente dans les aéroports, les hôtels, etc. On y est forcément confronté en tant que citoyen européen et elle participe de cette culture européenne standardisée. Si elle suscite tant de convoitise, c’est parce qu’elle est un élément à part entière de la culture européenne. Euronews a l’apparence de la neutralité journalistique (...)
C’est tout le contraire des chaînes d’opinion que l’on voit triompher aujourd’hui.
Est-elle très regardée en Europe ?
Plutôt par petites touches, un peu partout sur le continent. Les dirigeants politiques et économiques la consultent beaucoup. Depuis 2010, elle est aussi présente dans le reste du monde. (...)
Il s’agit pour Orbán de faire de l’Europe un continent hostile à l’immigration, favorable à la limitation des libertés et proche des dictatures. (...)
Cette opération s’inscrit-elle dans la continuité de ce qui s’est passé en Hongrie ?
Très clairement, et c’est d’autant plus inquiétant que l’identité d’Euronews est de faire de l’information pure. Ce qui veut dire que l’on peut s’attendre à ce que l’identité éditoriale de cette chaîne se retrouve inversée, comme on l’a vécu en France avec Le Journal du dimanche, qui était une marque forte que l’on a retournée contre sa propre histoire. L’extrême droite a souvent recours à ces méthodes lorsqu’elle utilise les médias pour arriver au pouvoir : elle reprend une marque et l’instrumentalise au mépris de son identité. Ici, cette chaîne plutôt favorable à l’Europe pourrait devenir une chaîne de détestation de la culture européenne.
Donc Euronews pourrait se changer en moyen de propagande contre l’Union européenne ?
À mon avis, il s’agit davantage d’en faire un outil de lutte contre l’Union européenne telle qu’elle est maintenant. Aujourd’hui, plus personne ne rejette l’idée d’Europe. Viktor Orbán lui-même se réjouit de voir que l’Union ressemble de plus en plus à ce qu’il souhaite (...)
Orbán pourrait devenir un point d’entrée de Vladimir Poutine en Europe […]. Le parallèle avec l’empire Bolloré est saisissant. (...)
Le combat médiatique est inséparable du combat politique. On peut penser qu’une transformation de la ligne éditoriale pourra avoir lieu si, dans ses instances dirigeantes, l’Europe évolue vers la droite.
Quid de la propagande autour de la guerre en Ukraine ?
Il est évident qu’Orbán est un des artisans du rapprochement avec Vladimir Poutine : il est favorable à l’idée que l’on arrête la guerre en Ukraine, que l’on cesse de lui donner des armes et que l’on fasse des concessions à la Russie. Il pourrait devenir un point d’entrée de Vladimir Poutine en Europe. Sur le continent, les médias d’extrême droite – comme ceux de Vincent Bolloré en France – soutiennent largement la Russie (...)
Il se peut donc qu’à l’avenir ces idées soient plus visibles sur Euronews, à mesure que les partis nationalistes et anti-européens investiront le parlement. Aujourd’hui, Orbán est seul à défendre ce rapprochement avec Poutine et conscient que le rapport de force n’est pas en sa faveur. Par conséquent, il n’a pas la liberté d’imposer brutalement ses idées sur la chaîne comme cela a été fait en Hongrie. (...)
Il existe donc des contre-pouvoirs ?
Oui, et heureusement ! En Europe, nous avons beaucoup plus de garde-fous qu’en France. La Commission européenne a déjà prouvé sa capacité à limiter la constitution d’empires médiatiques – (...) On peut donc avoir l’espoir que l’Europe résiste à l’assaut de Viktor Orbán, de la même manière qu’elle a été un levier pour limiter l’expansion de l’empire Bolloré.
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- euractiv.fr, décembre 2021 : (accès libre)
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- rfi.fr, avril 2024 : (accès libre)
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