
Alors que la pêche artisanale se meurt et que sa pratique industrielle ravage la biodiversité marine, le maire de Lorient et nouveau ministre de la mer vante ses liens avec les lobbys, et favorise les intérêts des plus gros acteurs du secteur.
L’Annelies Ilena, exploité depuis janvier par l’armateur français de la Compagnie des pêches de Saint-Malo, vient d’obtenir, par décret du ministre de la pêche Fabrice Loher, un droit de capture colossal pour fabriquer de la pâte de surimi congelé : 22 000 tonnes de merlans bleus par an. 40 millions d’individus d’une espèce surpêchée en Atlantique nord-est selon le dernier avis du Conseil international pour l’exploration de la mer (CIEM), un organe scientifique de référence sur l’état des populations marines.
En une journée, ce bateau pourra pêcher l’équivalent du travail quotidien de 400 navires artisanaux dans des mers largement en mauvais état, d’après le bilan de l’Agence européenne pour l’environnement. Un effondrement de la biodiversité marine – principalement causé par la pêche industrielle et chalutière – qui menace la régulation climatique et écologique en même temps que des milliers d’emplois. Au rythme actuel de la casse sociale, mesurée par l’Observatoire prospectif des métiers et des qualifications de la pêche, la filière artisanale de la pêche encore majoritaire en France pourrait disparaître en dix ans. (...)
À peine installé dans ses fonctions, le ministre de la pêche Fabrice Loher répond à cette crise socio-écologique par un « soutien au gigantisme industriel », dénonce l’ONG de protection de l’environnement Bloom. Même le précédent ministre, pourtant conciliant avec le lobby de la pêche, n’avait pas osé. Interrogé cette semaine par Le Monde sur la décision de son successeur, Hervé Berville dénonce « une hérésie économique et une aberration écologique ».
Fabrice Loher, maire UDI de Lorient (Morbihan), a débarqué au sein du gouvernement Barnier en septembre avec un profil pro-pêche assumé. (...)
plus inquiétant encore pour les organisations écologistes, le nouveau ministre a ramené dans son ombre « un ami », selon ses propres déclarations au quotidien local Le Télégramme : Olivier Le Nézet, le puissant patron du lobby de la pêche.
Ce dernier préside le Comité national des pêches, une organisation professionnelle influente, l’équivalent de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) dans le monde paysan, qui défend activement les intérêts industriels. Dans son organigramme dirigeant, on trouve notamment Florian Soisson, vice-président du Comité national des pêches et par ailleurs directeur de la Compagnie des pêches de Saint-Malo, l’armateur qui exploite l’Annelies Ilena et dont l’avenir est désormais sécurisé.
Sollicité par Mediapart, le ministre de la mer et de la pêche, Fabrice Loher, n’a pas répondu à nos questions.
« J’ai Fabrice Loher presque tous les jours au téléphone », confie le président du Comité national des pêches, Olivier Le Nézet à France 3 Bretagne. Quant au nouveau ministre, « il présente Olivier Le Nézet comme son conseiller spécial », décrit Damien Girard, député Les Écologistes du Morbihan et élu d’opposition à la mairie de Lorient. Les deux hommes s’appellent par leur prénom, se tutoient et sont régulièrement aperçus côte à côte à Lorient. Leur QG de base : le plus grand port de pêche français en valeur. (...)
« Le problème, c’est qu’il ne parle qu’avec lui ou ses sbires, dénonce David Le Quintrec, à la tête de l’Union française des pêcheurs artisans – une association de pêcheurs montée à Lorient à la suite de la mobilisation des « pêcheurs en colère » en 2023. « Nous, Fabrice Loher n’est jamais venu nous rencontrer en trois ans de crise. Et notre problème avec ça, c’est que Le Nézet, c’est une vision de la pêche, pro-chalut, pro-industrie, il ne peut pas piffrer les petits fileyeurs artisanaux. Il n’est pas représentatif de tous les pêcheurs. »
Sollicité par Mediapart, Olivier Le Nézet n’a pas souhaité répondre à nos questions.
Des accointances politiques critiquées (...)
« Le Nézet profite de ces accointances politiques pour pousser ses intérêts », dénonce David Le Quintrec. Son organisation est notamment mobilisée contre un opaque projet du port de Lorient, soutenu politiquement et financièrement par l’agglomération, qui vise à développer un méga-port industriel dans le sultanat d’Oman. L’affaire a été signalée au parquet de Lorient, en février, par l’association Anticor Morbihan. Selon son analyse, l’investissement public aurait surtout servi des intérêts privés. Le parquet ne souhaite pas encore communiquer sur les suites données à ce dossier. Mais pour Anticor, « c’est une épée de Damoclès qui pèse sur le ministre ».
Ces liens multiples et parfois sulfureux entre le ministre et le lobbyiste interrogent des pêcheurs artisans comme les ONG – inquiets d’être relégués en interlocuteurs de second plan. (...)
La militante pointe les « positions anti-ONG et anti-science » prises selon elle par le maire de Lorient ces dernières années. Dans un communiqué publié janvier, Fabrice Loher dénonçait par exemple « le lobbying forcené des ONG écologistes radicales ». Une partie des pêcheurs lorientais était alors à quai dans le cadre d’un arrêt temporaire de la pêche décidée par le Conseil d’État après plusieurs condamnations européennes. Le but était de protéger les dauphins du golfe de Gascogne, menacés d’extinction en raison de captures accidentelles des pêcheurs. Un phénomène documenté des années par Pelagis, un laboratoire du CNRS.
« Des données qui restent à objectiver », élude Fabrice Loher dans ce même communiqué. Pour appuyer son soutien aux pêcheurs, il avait carrément mis en berne les drapeaux de sa mairie. Cette fermeture temporaire de la pêche a engendré une forte diminution de la mortalité des cétacés par capture, selon les données provisoires de Pelagis.
En juin 2024, en ouverture des Assises de la pêche organisées à Lorient, Fabrice Loher exhortait à « gagner la bataille de l’opinion » contre les ONG écologistes. Désormais ministre, il se dit ouvert au dialogue – « avec les ONG les plus modérées », a-t-il précisé lors d’une rencontre en octobre avec des pêcheurs. (...)