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Face aux nouveaux fascismes, construire la digue
#fascismes #antifascisme #resistances
Article mis en ligne le 29 septembre 2025
dernière modification le 24 septembre 2025

L’association unitaire Visa (Vigilance et initiatives syndicales antifascistes) publie chez Syllepse un remarquable manuel internationaliste de résistance aux nouveaux fascismes que j’ai volontiers accepté de préfacer.

Créée en 1996, Visa est une association intersyndicale qui regroupe plus de 300 structures syndicales. Si la CGT, Solidaires et la FSU y prédominent, on y retrouve aussi le Syndicat de la magistrature et le Syndicat des avocats de France ainsi que des syndicats de la CFDT, de la CNT, de la CNT-SO, de FO, de l’UNSA et de l’Union pirate. Nouveaux fascismes, ripostes syndicales qui vient de paraître chez Syllepse synthétise et actualise le travail de réflexion et d’information de ce réseau unitaire face à la menace d’extrême droite.

Sa grande originalité, outre évidemment sa documentation du cas français, est sa dimension internationale à l’heure où cette menace est devenue globale, sous ses divers avatars. Grâce aux solidarités syndicales, Visa offre ainsi un inventaire par pays quasi exhaustif, dans cet ordre : Italie, Hongrie, Finlande, Pays-Bas, Pologne, Allemagne, Autriche, Belgique, Espagne, Bélarus, Russie, Ukraine, Iran, Inde, Argentine, Brésil, Israël/Palestine, Syrie, États-Unis. J’ai volontiers accepté la demande de Visa de soutenir ce livre par une préface, que je republie dans ce billet.

Son propos rejoint celui d’autres initiatives d’esprit unitaire et internationaliste, semblables au travail constant de Visa. Ainsi, le jour où j’écrivais à Lisbonne cette préface intitulée « Construire la digue », le député écologiste Pouria Amirshahi lançait à Paris « La Digue », reprenant la même image avec la même démarche : fédérer pour résister. (...)

paysage géopolitique non seulement européen mais mondial où, sous divers atours selon les contextes nationaux, une extrême droite xénophobe et raciste, autoritaire et populiste, cynique et violente, impose son agenda idéologique. Cette radicalisation des classes dominantes, pour défendre leurs privilèges indus et perpétuer les injustices qui les garantissent, enfante une fuite en avant guerrière dont l’agression russe contre l’Ukraine et la destruction israélienne de la Palestine sont les dramatiques illustrations, ouvrant la voie à une sauvagerie générale où des civilisations prétendument supérieures nourrissent leurs propres barbaries, jusqu’aux crimes contre l’humanité tout entière.

Solution de rechange d’un capitalisme du désastre qui refuse toute limite à son avidité destructrice, cette extrême droite mondialisée a évidemment le visage de Donald Trump qui, redevenu président des États-Unis, s’attaque à tous les principes démocratiques, aussi imparfaits et inaccomplis soient-ils, proclamés à la face du monde au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, dans la conscience des catastrophes produites par le règne de l’argent, la loi du plus fort et le désir de puissance. Le trumpisme et tous ses avatars, dont les versions françaises fédèrent désormais tout le camp conservateur jusqu’au centre-droit, s’attaquent aux libertés et droits fondamentaux en arguant de leur seule légitimité électorale qui l’emporterait sur tout autre pouvoir ou contre-pouvoir – l’État de droit, l’indépendance de la justice, le respect du syndicalisme, la liberté de la presse, l’auto-organisation populaire, le pouvoir du Parlement, etc.

C’est ici qu’intervient l’apport décisif de ce livre issu du travail collectif de Visa, ce réseau de « Vigilance et initiatives syndicales antifascistes ». Refusant l’abattement et la résignation que peut générer la lucidité sur l’ampleur et l’urgence du péril, il documente le véritable chemin de résistance, le plus sûr, le plus solide, le plus durable. (...)

plutôt que d’être réduits régulièrement à faire barrage, ce manuel de résistance nous indique comment construire la digue. (...)

C’est une digue sociale, unitaire et internationaliste. Sociale, car tout syndicaliste le sait : c’est dans les luttes, au plus près du concret et du quotidien, des lieux où l’on vit, habite et travaille, que se construisent des résistances progressistes qui mobilisent et rassemblent au-delà des premiers convaincus. Unitaire, car tout antifasciste l’a appris : c’est grâce aux divisions fratricides des tenants de l’émancipation, aux querelles des forces partisanes qui en font la diversité, donc la richesse, que l’extrême droite réussit à s’imposer, en pariant sur la démobilisation et la démoralisation. Internationaliste enfin, car toute l’histoire des luttes l’enseigne : c’est par une conscience aigüe des causes communes de l’égalité qui unissent les peuples, leurs espérances de justice et de dignité, que peut se construire une résistance sans frontières, sans nations propriétaires et sans « campismes » borgnes, aux dominations des pouvoirs économiques et étatiques.

Cet internationalisme est sans doute l’apport le plus original de ce livre, sans équivalent dans le débat politique tant, à gauche, s’est longtemps égaré ce fil originel de la cause ouvrière et du mouvement social. Ici, on apprend des autres, des ailleurs et des lointains. « Agis en ton lieu et pense avec le monde » : cette recommandation d’Édouard Glissant convient bien à la démarche de Visa alors que l’émergence de nouveaux fascismes accompagne la violence ravageuse de pouvoirs oligarchiques et mafieux. (...)

Aussi bien à l’intérieur d’une même nation qu’à l’échelle du monde entier, la cause des opprimés, exploités et dominés, est forcément sans frontières. Tout repli identitaire – nationaliste, xénophobe, sexiste, masculiniste, etc. – est une concession faite aux ennemis de l’égalité des droits, de la justice sociale et de l’émancipation collective. Car c’est bien cela que l’extrême droite, unie sur l’essentiel quelles que soient ses chapelles, entend combattre : l’égalité des droits, cette proclamation qui est au point de départ de tous les droits conquis, inventés, défendus, imaginés, que ce soit hier, aujourd’hui ou demain. Droits politiques, droits sociaux, droit des femmes, droit des peuples, droit international, droit de la nature, etc. : contre ces tenants de l’inégalité naturelle qui sont nos adversaires de toujours, en tout temps et sous toute latitude, il s’agit de défendre cette égalité radicale, sans distinction d’origine, de naissance, de culture, de croyance, d’apparence, de sexe, de genre.

« Là où croit le péril croît aussi ce qui sauve » : empruntée au poète Hölderlin, cette formule convient bien au travail de Visa, aussi nécessaire que salutaire. Il n’y a jamais de fatalité. Tout dépend de nous, de nos lucidités et de nos responsabilités. En ce sens, toutes et tous, nous avons rendez-vous avec nous-mêmes. (...) (...) (...)