Alors que les signalements pour violences sexistes et sexuelles dans les transports ont explosé en France ces dix dernières années, le gouvernement prépare un plan national attendu pour 2026. À l’étranger, certaines villes et régions ont déjà mis en place des dispositifs dédiés pour lutter contre le harcèlement sexuel. Leur bilan, contrasté, éclaire les défis qui attendent la France.
"Une société digne de ce nom protège les femmes dans l’espace public". Par ces mots, la ministre déléguée chargée de l’Égalité femmes-hommes, Aurore Bergé a annoncé, mardi 9 décembre, que le gouvernement français planchait à l’élaboration d’un plan national de lutte contre les violences sexistes et sexuelles (VSS) dans les transports, dont la finalisation est espérée pour le premier trimestre 2026.
Évoqué à l’occasion d’une journée de mobilisation au Conseil régional d’Ile-de-France, ce projet élaboré conjointement avec le ministère des Transports, mettra l’accent sur la prévention et les systèmes d’alerte.
"Construit avec les opérateurs, les régions, les associations", il prévoit notamment le développement de "système d’alerte unifié" avec "bouton d’appel rapide dans les applications", a expliqué la ministre, évoquant un système déjà utilisé depuis quelques semaines dans les métropoles d’Orléans et de Montpellier. Le plan prévoit aussi le développement d’un "canal unique de transmission d’information entre opérateurs et forces de l’ordre".
Insultes, regards insistants, exhibition, attouchements… Les femmes représentent 91 % des victimes d’agressions sexuelles dans les transports, selon une étude publiée en mars par l’Observatoire de la Mission interministérielle pour la protection des femmes (Miprof).
En 2024, quelque 3 374 victimes de violences sexuelles dans les transports en commun ont été enregistrées dans toute la France par les services de police et de gendarmerie, soit 6 % de plus qu’en 2023, et 86 % de plus qu’en 2016, selon la Miprof. (...)
Face à l’urgence, la France élabore un plan national de lutte. Ailleurs, d’autres pays ont déjà expérimenté des dispositifs, parfois depuis plusieurs années, pour endiguer le harcèlement sexuel dans les transports. Avec des résultats parfois contrastés. (...)
À Londres, "Project Guardian" : la référence
Lancé en 2013 par la British Transport Police (BTP), Transport for London (TfL) et la police métropolitaine, le dispositif londonien fait figure de référence en matière de lutte contre les VSS dans les transports.
Visant à améliorer la prise en charge des victimes et à faciliter le signalement des agressions, ce programme repose sur trois piliers : la formation systématique des agents, un système de signalement simplifié – notamment via SMS, réseaux sociaux et l’application TfL –, et des campagnes massives de sensibilisation destinées à briser le tabou autour du harcèlement.
Depuis sa mise en place, le nombre d’incidents signalés a fortement augmenté (...)
Si le programme n’a pas fait disparaître le phénomène, il a permis d’objectiver son ampleur et d’améliorer l’identification des zones à risques. Aujourd’hui encore, la BTP cite "Project Guardian" comme un outil rendant visibles des violences jusque-là invisibles, en encourageant les signalements, en rassurant les victimes, en modifiant les représentations, et en facilitant la prise en charge policière.
Inde, Japon, Brésil... Des wagons réservés aux femmes
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Mais si ces wagons offrent aux femmes un espace plus sûr, ils sont aussi critiqués pour ne pas s’attaquer aux causes profondes du harcèlement. Ils sont aussi souvent jugés inadaptés, car également utilisés par des hommes qui ignorent les règles.
Aussi, certaines Indiennes en particulier perçoivent les wagons séparés comme un recul plutôt que comme une solution. Le problème des violences sexuelles en Inde a été mis en lumière en 2012 par le viol collectif et le meurtre d’une jeune femme de 23 ans dans un bus en marche. Malgré une vague de sensibilisation et de mobilisation, les statistiques sur les violences sexuelles restent alarmantes. (...)
Mardi, Aurore Bergé s’est elle-même prononcée contre l’idée de créer des wagons réservés aux femmes, estimant que cela revient à "instaurer une forme de ségrégation", et assimilant cette solution à une "capitulation".
Au Mexique, le programme "Viajemos Seguras"
À Mexico, où 9 femmes sur 10 déclarent avoir été victimes de harcèlement sexuel dans les transports en commun, le gouvernement a réagi dès 2008 en lançant l’initiative "Viajemos Seguras" (Voyageons en sécurité, en français), visant à sécuriser les transports pour les femmes.
Ce programme inclut des wagons de métro réservés aux femmes, des bus réservés aux femmes (appelés "Atenea"), des bornes d’assistance pour signaler les incidents, la formation des agents de sécurité, et des campagnes de sensibilisation.
Le bilan montre qu’il y a bien eu une légère diminution du harcèlement sexuel dans les espaces spécifiquement réservés aux femmes, mais aussi une augmentation d’autres formes d’agressions, dans d’autres espaces ou à d’autres moments.
Cela signifie donc que les mesures ciblées, comme des wagons réservés, améliorent la sécurité dans ces espaces précis, mais que le problème global de la violence ne disparaît pas totalement : il peut juste se déplacer.
Ainsi, en 2016, le média local El Universal estimait : "Il est préoccupant de constater que, parmi les mesures prises pour lutter contre les violences faites aux femmes, aucune ne vise à modifier les comportements et les perceptions sexistes des individus. Or, c’est la seule façon d’éradiquer ces violences". (...)
En Espagne, un plan en 18 mesures en Catalogne
La Catalogne a été l’une des premières autonomies espagnoles à mettre en place un plan structuré et détaillé contre le harcèlement dans les transports en commun.
Ce "plan de mesures pour la prévention du harcèlement sexuel dans les transports publics", adopté en juillet 2022, comprend 18 mesures spécifiques qui s’articulent elles-mêmes autour de cinq grands axes.
Sont ainsi prévus un cadre légal clarifié, des équipes dédiées pour traiter les incidents et une collecte de données sur l’expérience des femmes dans les transports.
Le plan, dont la phase de déploiement complet s’étendait jusqu’à 2025, prévoit aussi de rendre les infrastructures plus inclusives, et d’intégrer les besoins des femmes dès la planification des systèmes de transport.
Il comporte également un axe de prévention, avec des équipes formées pour gérer les situations d’urgence, des campagnes de sensibilisation et la garantie de la confidentialité pour les victimes.
Enfin, des outils technologiques, comme des applications de signalement et des outils numériques, sont déployés pour encourager les signalements et analyser les données afin de mieux cibler les interventions. (...)
En Allemagne, une dynamique comparable à celle de la France
En Allemagne, la lutte contre les VSS dans les transports ne repose pas sur un plan national unifié, mais sur une mosaïque de dispositifs locaux menés par les opérateurs et les Länder. (...)
La principale différence tient à l’architecture des réponses : là où l’Allemagne multiplie les initiatives locales, la France cherche, avec le plan annoncé mardi par Aurore Bergé, à construire une stratégie nationale plus homogène.