
Les médias créent une image pauvre de la politique, simple lutte de « personnalités ». Dans le cas du Venezuela, leur silence a été total sur 24 ans de construction d’un pouvoir citoyen. Comme celui de ces communardes qui « ne se sentent plus coincées dans leur cuisine ».
UNE COMMUNE DIRIGÉE PAR DES FEMMES
Abrannys Mendoza : Vers 2015, des porte-parole de quinze conseils communaux d’ici ont commencé à se réunir en vue de former une commune : nous voulions réaliser le projet de Chávez. Deux communes sont nées de ces assemblées : « Los Herederos de Chávez » et la nôtre. Notre commune s’appelle « Nacidos Para Vencer con Chávez » (« nés pour vaincre avec Chavez »). Elle a finalement été enregistrée en février 2017, constituée de sept conseils communaux et une population de plus de 2500 personnes.
Notre combat a été long, mais il en valait la peine.
Aujourd’hui, nous avons une organisation soudée qui génère des espaces de prise de décision participative et encourage la production. (...)
Jessica Laya : Une commune se développera et deviendra hégémonique dans une région si elle offre des solutions tangibles à la population. C’est pourquoi en mai 2017, peu après l’enregistrement de notre commune, nous avons commencé à travailler avec le « Plan de Siembra » (« Plan d’ensemencement ») national [initiative gouvernementale visant à promouvoir la production agricole] pour semer plus de 200 hectares de maïs. (...)
Abrannys Mendoza : Autrefois, dans la région des plaines, lors des visites, les femmes étaient envoyées à la cuisine pour préparer les repas des hommes. La fête était importante, mais nous étions enfermées ! Tout cela a changé avec la révolution bolivarienne : nous ne sommes plus seulement les mères et les épouses coincées dans la cuisine. Et non seulement nous sommes sorties de la cuisine, mais nous sommes maintenant à la tête de nos communes et parfois, dirigeantes du parti socialiste [PSUV].
Bien sûr, il reste encore beaucoup à faire pour parvenir à l’égalité totale : bien que nous, les femmes, avons gagné en autonomie, c’est encore nous qui nous occupons du foyer. J’attends avec impatience le moment où les hommes et les femmes participeront à parts égales aux tâches domestiques. (...)
LA PRODUCTION AGRICOLE EN TEMPS DE BLOCUS
Mairen Mendoza : Nous avons récemment acheté un terrain de quatre acres (208 ares) pour le projet communal. Cependant, sur notre territoire, la plupart des terres sont entre les mains de petits paysans et d’agriculteurs de taille moyenne. Malgré cela, nous travaillons tous ensemble dans un but collectif : augmenter la production et améliorer les conditions de vie de la communauté.
L’exercice le plus intéressant en matière de production collaborative et de planification a sans doute été le « Plan de Siembra » de 2017, lorsque nous avons reçu les intrants nécessaires pour planter 220 hectares de maïs. Cette année-là, nous avons travaillé comme des folles ! La récolte a été excellente : 174 des 220 hectares ont produit environ 4500 kilos par hectare. Ce fut une grande année pour la commune, car elle nous a appris que nous pouvons produire plus si nous collaborons. Cependant, 2017 a été difficile pour nous aussi : la récolte a eu lieu pendant la pire période d’hyperinflation. Cela signifie qu’au moment où nous avons été payés, l’argent s’était volatilisé. Cette situation nous a conduits au bord de la faillite. C’est pourquoi nous disons que 2017 a été à la fois notre meilleure et notre pire année. (...)
Mairen Mendoza : Nous cherchons des alternatives au milieu de cette crise induite par le blocus. L’une des initiatives les plus importantes est notre « banque de semences » communale, qui vise à rompre la dépendance à l’égard des instances du gouvernement, mais aussi du marché capitaliste. Il y a environ un an, vingt-cinq paysans, dont moi-même, ont uni leurs efforts pour lancer un projet de semences de maïs. (...)
Nous voulons augmenter notre capacité de production en travaillant main dans la main avec d’autres communes. Avec ces autres organisations, nous travaillons à la création d’une entreprise de propriété sociale que nous appelons « Los Soberanos ». « Los Soberanos » sera une usine de conditionnement de haricots qui nous aidera à mettre notre production sur le marché communal, tout en évitant les intermédiaires. Nous venons d’acheter un terrain de quatre hectares qui deviendra le site de cette usine. Il a été acquis avec des fonds du Consejo Federal de Gobierno [institution gouvernementale qui finance directement les communes] à la suite du vote citoyen (consultation populaire nationale, mai 2024).
Nous devons maintenant travailler dur pour obtenir les ressources nécessaires à la construction de l’usine. (...)
LE BLOCUS OCCIDENTAL
Mairen Mendoza : Lorsque le blocus nous a frappés, la production de la commune a chuté de façon spectaculaire.
Cependant, les mesures coercitives unilatérales nous ont également rapprochés de la terre : de nombreuses personnes sont retournées dans leurs conucos (lopins familiaux) où elles cultivent maintenant du topocho, du yuca et d’autres cultures pour les besoins du ménage. Cela se traduit par une plus grande diversification du territoire : nous cultivons aujourd’hui 20 produits différents, et la production de fromage augmente également.
Bien sûr, cela ne s’est pas fait du jour au lendemain. Nous n’avons pas souffert de la faim, mais nous avons perdu de nombreux kilos au cours de ces années.
Outre le conuco familial, l’une des clés pour répondre aux besoins alimentaires de la commune est notre « Casa de Alimentación » (foyers communautaires d’alimentation), qui a ouvert ses portes en 2018 et qui nourrit plus de 200 personnes. (...)
La pénurie de carburant a également des répercussions sur la santé (...)
L’éducation a également été affectée par le blocus (...)
Mairen Mendoza : Le blocus est parfois terrifiant. Washington est déterminée à renverser notre gouvernement par tous les moyens, et ce n’est un secret pour personne que leurs politiques nous ont fait perdre des années en termes de bien-être matériel. Mais il est tout aussi vrai que les difficultés nous ont rendus plus résistants et plus engagés dans le travail d’organisation. Chávez n’avait pas tort, la commune est un bon moyen de construire un monde meilleur. Que nous soyons confrontés à des défis et à des contradictions ? Certainement, mais la commune est l’avenir, et c’est « aussi clair que la pleine lune » comme il disait dans son dernier discours. (...)
Jessica Laya : La commune est l’héritage d’un modèle politique de Chávez pour les pauvres et les travailleurs du Venezuela. La construction des communes n’est pas facile, mais je ne peux pas imaginer ce que nous ferions sans elle. Les défis seraient encore plus grands ! (...)
Abrannys Mendoza (...) Je pense que l’Union Communarde est un outil pour construire le socialisme bolivarien. Je me souviens que dans l’un des cours, un professeur nous a dit que nous vivions encore dans un pays capitaliste. Certains de mes camarades ont été surpris et ont dit que ce n’était pas le cas… mais c’est le cas ! C’est le Président Chávez qui l’a dit, mais il faut le rappeler aux jeunes générations. Pour en finir avec les injustices, nous avons besoin de la commune !