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France : dix hommes jugés pour le naufrage meurtrier du 14 décembre 2022
#Manche #migrants #immigration #naufrages
Article mis en ligne le 18 juin 2025
dernière modification le 17 juin 2025

Toute la semaine, dix hommes sont jugés à Lille pour leur rôle présumé de passeurs dans le naufrage du 14 décembre 2022 dans la Manche, au cours duquel au moins quatre passagers ont péri. Neuf d’entre eux comparaissent pour homicide involontaire. Au Royaume-Uni, le jeune exilé pilote de l’embarcation avait déjà écopé de neuf ans de prison.

Dix personnes étaient renvoyées devant la Juridiction interrégionale spécialisée (Jirs) dans ce dossier, mais ils sont finalement huit dans le box des accusés. Un prévenu, absent et toujours sous le coup d’un mandat d’arrêt, est jugé par défaut. Le dixième, détenu en Belgique, sera jugé ultérieurement, a décidé le tribunal lundi. (...)

En effet, certains des prévenus sont soupçonnés d’avoir recruté des passeurs et assuré la logistique auprès des passagers, d’autres d’avoir géré l’organisation sur le camp de migrants de Loon-Plage, près de Dunkerque. D’autres encore sont jugés pour s’être occupés du transport des migrants vers la plage et de la mise à l’eau du canot, et deux pour avoir collecté une partie des paiements.

Les prévenus âgés de 22 à 40 ans, sont aussi accusés d’avoir fourni à des candidats à l’exil "un small boat de faible qualité, surchargé et dépourvu de gilet de sauvetage pour l’ensemble des participants", a résumé la présidente du tribunal.

Une crevaison dès le départ ignorée par les passeurs (...)

L’embarcation a fait naufrage à quelques kilomètres seulement des côtes anglaises. Trente-neuf personnes dont huit enfants ont pu être secourus ; mais quatre ont été retrouvés morts, quatre autres sont portés disparus. Depuis, les autorités anglaises et françaises cherchent à identifier des responsables. (...)

Au Royaume-Uni, Ibrahima Bah, un jeune Sénégalais à peine majeur, avait été condamné à neuf ans de prison pour homicides involontaires en février 2024 pour avoir piloté cette embarcation. D’après ses dires, le jeune homme avait accepté ce rôle en échange d’un passage gratuit, avant de se raviser au moment d’embarquer, au vu du danger. Sous la menace des organisateurs, présents sur la plage, il avait finalement pris la barre.

Lors de l’audience, un rescapé a affirmé qu’Ibrahima Bah "faisait de son mieux" pour sauver les passagers en s’approchant de bateaux de pêche, rapporte The Guardian. Un autre survivant l’a qualifié d’"ange" pour avoir tenu une corde afin que les passagers puissent être hissés sur le bateau de pêche l’Arcturus : le juge a effectivement reconnu que le jeune homme avait été l’un des derniers à quitter le canot pneumatique après avoir aidé les autres.

Un naufrage "dont personne ne peut être tenu individuellement responsable" ?

Un rapport du collectif Alarm Phone, en partenariat avec le laboratoire de recherches Liminal, dressait aussi une version nuancée des responsabilités autour du naufrage cette nuit-là. "Il n’y a pas eu de tentative de sauvetage manifeste du côté français malgré les appels à l’aide émis par téléphone et aux navires de pêche français. Aucun bateau français n’a non plus escorté cette embarcation, comme c’est le cas habituellement", rappelle leur rapport détaillé des évènements paru fin 2023.

Le communiqué de presse du 15 décembre de la Préfecture de la Manche et de la mer du Nord indiquait que le CROSS Gris-Nez avait demandé à un navire de commerce se trouvant dans la zone de surveiller l’embarcation tout en établissant une liaison avec les garde-côtes de Douvres pour l’envoi d’un navire de sauvetage britannique.

Ne voyant pas de navire de sauvetage arriver, les passagers de l’embarcation ont cherché à s’approcher d’un premier bateau de pêcheurs à proximité : "On criait, on hurlait et on disait qu’on était en train de couler. On n’arrêtait pas de crier et de demander à l’aide, à l’aide, à l’aide. Ils venaient, regardaient, disaient non et s’en allaient", témoigne Y., l’un des survivants interrogés par Alarm Phone. (...)

Un second bateau est alors apparu à l’horizon : l’Arcturus, au bord duquel l’équipage est occupé à pêcher des coquilles Saint-Jacques. Un passager saute du canot pour atteindre ce bateau. En face, l’équipage est désarçonné, racontent plusieurs témoins : "Ils ont dit qu’ils ne savaient pas comment nous sortir de l’eau. Ils ont dit qu’ils allaient appeler la police pour obtenir de l’aide. Ils ont tiré l’homme depuis les chaînes vers le pont. Nous étions encore 45 sur le bateau", relate Y.

Plusieurs témoins expliquent que les passagers se sont levés pour attirer l’attention de l’Arcturus et tenter par eux-mêmes de monter à son bord. Ce moment de confusion et de panique aurait abouti au naufrage. (...)

Selon le rapport du département d’enquête anglais sur les accidents marins (MAIB), une déchirure à la base du bateau a entraîné la rupture du revêtement de sol en tissu. De quoi entraîner l’effondrement de la structure du bateau et le naufrage des exilés dans l’eau glacée. Le canot était de piètre qualité, avec des "poignées qui s’étaient détachées" du boudin du canot et un panneau de plancher en tissu "monté à l’envers".

"Tous ces éléments mettent en évidence le fait que de telles opérations de sauvetage sont intrinsèquement dangereuses et doivent être menées par des équipages hautement qualifiés. Le naufrage et les pertes de vies humaines qui ont eu lieu le 14 décembre sont le résultat de nombreux facteurs, dont personne ne peut être tenu individuellement responsable", estime Alarm Phone.