
Dans un rapport publié fin juin, l’ONG Action contre la faim dresse un bilan "inquiétant" de précarité alimentaire chez les demandeurs d’asile hébergés dans des centres officiels (Huda), gérés par l’État. Plus d’une personne sur deux mange moins de trois repas par jour, écrit l’ONG. Un constat "effectivement préoccupant", pour Didier Leschi, le directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration, en charge de ces structures.
Deux parents sur trois ont réduit leurs repas pour privilégier l’alimentation de leurs enfants. Voici l’une des conclusions du rapport d’Action contre la faim (ACF) publié mi-juin sur la précarité alimentaire des demandeurs d’asile en France. L’enquête de l’ONG a été menée dans la région francilienne auprès d’une dizaine de Huda (hébergements d’urgence pour demandeurs d’asile), gérés par l’État, via l’Office français pour l’intégration et l’immigration (Ofii).
À la suite de cette investigation menée en plusieurs étapes de décembre 2022 à novembre 2024, ACF a rendu plusieurs conclusions. Premièrement, 10 % des interrogés ont dit souffrir de "faim sévère", 26 % de "faim modéré". Deuxièmement, la moitié des interrogés ne mangeaient pas trois repas par jour. Ensuite, près de trois quarts des ménages fréquentent des dispositifs d’aide alimentaire pour se nourrir (comme la Banque alimentaire). (...)
L’ADA, jamais revalorisée depuis sa création en 2015
Comment en est-on arrivés à un constat aussi "alarmant" dans des structures gérées par l’Ofii ? Par une allocation financière insuffisante, avance notamment l’ONG. En France, tous les demandeurs d’asile peuvent bénéficier de l’ADA
Cette aide est versée à toute personne qui s’est enregistrée en préfecture afin de déposer un dossier d’asile. Elle lui sert à acheter des produits de première nécessité, de la nourriture, des fournitures scolaires pour les enfants, des vêtements… Le montant de l’ADA varie selon la situation familiale : un demandeur d’asile célibataire bénéficie par exemple de 6,80 euros par jour, soit 206 euros en moyenne par mois.
Le souci, argumente ACF, est que cette aide n’a jamais été revalorisée depuis son entrée en vigueur en 2015. L’ONG demande donc à l’État d’aligner le montant de l’ADA sur le montant du RSA (revenu minimum de solidarité). Contacté par InfoMigrants, Didier Leschi, le directeur général de l’Ofii, responsable de la gestion des HUDA, reconnaît que cette insécurité alimentaire est un sujet "effectivement préoccupant". Mais il doute des solutions proposées par Action contre la faim. (...)
Didier Leschi ajoute également que ce problème d’insécurité alimentaire n’est pas nouveau. "Les statistiques de l’Insee soulignaient déjà que 51% des utilisateurs des banques alimentaires sont des immigrés", avance-t-il. "Et parmi eux, des demandeurs d’asile, des personnes en difficulté d’intégration après avoir bénéficié d’une protection [internationale] ou des déboutés".
L’impossibilité de recourir à son allocation en cash
Pour améliorer le quotidien des personnes en HUDA, Action contre la faim recommande que les demandeurs d’asile puissent avoir la possibilité d’obtenir leur allocation ADA en espèces. Aujourd’hui, la carte bancaire remise aux demandeurs d’asile permet uniquement d’effectuer des paiements et non des retraits d’argent. "Le retrait en espèces [garantit] une plus grande liberté de choix et [permet] les achats dans les commerces ou marchés qui n’acceptent pas la carte", explique ACF. Beaucoup d’exilés en effet cherchent à se fournir chez des épiceries de quartiers, sur des marchés et moins en grandes surfaces. Sans cette liberté de paiement, ils se restreignent. (...)
Une information qui surprend Didier Leschi pour qui la plupart des commerces acceptent les paiements en carte – quel que soit le montant. "La tendance générale est à la diminution des achats en numéraire même pour des petites sommes. Peu ou pas de difficultés nous sont signalées, même s’il peut y en avoir", affirme-t-il. Didier Leschi rappelle que l’impossibilité de cash par l’ADA a aussi été décidé pour éviter de nourrir les réseaux de mafia ou l’envoi de devises à l’étranger. (...)
"Rendre effectif l’accès à l’emploi pour les demandeurs d’asile"
Enfin, parmi les récriminations de l’ONG : l’impossibilité d’accéder au marché de l’emploi pour les demandeurs d’asile. En France, en effet, il est difficile - voire impossible - de travailler en étant demandeur d’asile. Il faut remplir un certain nombre de conditions. Dans les faits, donc, très peu travaillent légalement pendant l’étude de leur demande.
"Rendre effectif l’accès à l’emploi dès l’introduction de la demande d’asile [permettrait] d’accélérer l’insertion économique et sociale ainsi que l’autonomie financière des personnes", explique ACF. (...)
Dans le rapport, l’ONG estime aussi que les frais annexes, tel que le transport ou les frais de téléphonie empiètent sur le budget alimentation des ménages. "7% des personnes interrogées dans le cadre de l’enquête déclarent payer 86€ par mois ou davantage pour le transport, soit 42% du montant de l’ADA pour une personne seule (204€) dédiés au transport", peut-on lire, par exemple, dans le rapport.
"Pas de prestation restauration dans les HUDA"
Enfin, l’ONG rappelle que le fonctionnement des HUDA n’est pas toujours optimal pour les exilés. Ces centres d’hébergement fournissent des cuisines (individuelles ou partagées) mais aucune prestation pour les repas. "Contrairement aux structures d’hébergement généralistes (CHU, CHRS), les hébergements du DNA [dispositif national d’accueil, dont font partie les HUDA, ndlr] ne disposent pas de budget dédié" pour fournir des denrées alimentaires. "La prestation de restauration n’est pas à prévoir par le gestionnaire", peut-on lire dans le cahier des charges des HUDA en Ile-de-France.
Et les cuisines partagées ne sont pas toujours adaptées (...)
"Le manque d’autonomie alimentaire dans les hébergements […] est régulièrement invoqué à la fois comme une privation de la capacité d’action (choisir ce qu’on veut manger et se le préparer soi-même) et du point de vue de la sécurité alimentaire (maîtriser ses apports nutritionnels et les quantités en fonction de ses besoins)", conclut l’ONG.