
Ce 1er janvier, Pôle emploi est devenu France Travail. Derrière le changement de nom se cache plus de contrôle sur les chômeurs. Mais contrôler plus ne fait pas baisser le chômage, défendent les sociologues Jean-Marie Pillon et Luc Sigalo Santos. Entretien.
(...) Depuis l’aide au chômeur au début du 20e siècle, il y a toujours eu des dispositifs pour vérifier que les personnes qui recevaient des aides financières n’étaient pas des « mauvais pauvres », des oisifs. Pendant les Trente Glorieuses, il s’agissait de savoir si les chômeurs n’étaient pas des « travailleurs au noir » : s’ils bénéficiaient d’une aide alors qu’ils travailleraient par ailleurs. Dans les années 1980, on assiste à une individualisation du traitement du chômage : est-ce que la personne est « dynamique », engagée dans sa recherche de travail ? (...)
L’étude du contrôle des chômeurs révèle une volonté de reprise en main politique de l’état-major de Pôle emploi. Faire contrôler par des plateformes régionales arrimées à la direction nationale a été une façon de contourner les résistances du réseau. Au départ, les ex-ANPE ne voulaient pas devenir des « flics », comme ils disaient. Cela contrevenait à leur morale professionnelle d’aide aux usagers. Et les ex-Assedic n’étaient pas très enthousiastes en raison de la charge de travail supplémentaire.
Aujourd’hui encore, tous les conseillers ne souhaitent pas être les adjoints des contrôleurs. (...)
Tout l’enjeu de la pression mise sur les chômeurs réside dans cette frontière entre aide et obligation. Ces « politiques aiguillon » que l’on retrouve dans les réformes de l’assurance chômage font l’objet d’une large communication afin que les gens soient au courant. De quoi ? D’un risque de radiation, la suspension ou de perte d’allocation. Comment ? En modifiant leur comportement afin qu’ils correspondent à la définition que l’institution donne d’un chômeur “actif”.
Cela peut apparaître paradoxal, car ce qui est visé n’est pas forcément la coercition en elle-même mais une forme de discipline. (...)
Depuis 2018, Pôle emploi explique ainsi que le contrôle est aussi une façon pour l’institution de tenir ses promesses d’accompagnement pour rattraper des gens découragés. Les contrôleurs, parfois présentés comme des « conseillers bis » disent eux-mêmes « les gens n’ont pas obligation de résultat, ils ont obligation de moyens ». (...)
Sachant que la définition de l’emploi durable retenue comprend des CDD de six mois… Il n’y a donc pas d’effet significatif ou bénéfique de ces dispositifs. Et on ne sait pas dans quelles conditions se font ces reprises d’emplois. Il n’y a par ailleurs pas suffisamment de contrôle de la qualité ou même de la légalité des offres. C’est un vrai sujet vu le nombre d’annonces doublon, mal payées ou de très courtes durées. Plus généralement, il y a une volonté d’ajuster le comportement des chômeurs aux dispositifs façonnés et financés par Pôle emploi. Les attentes des employeurs sont filtrées par la conception du marché du travail que l’institution produit. (...)
Dans ses annonces de novembre 2021, Emmanuel Macron établit un lien de cause à effet entre une manne d’emplois non pourvus et des chômeurs suspectés de ne pas suffisamment chercher, alors qu’il suffirait de « traverser la rue ». Rien ne le démontre. Les seules données fiables sont celles de la Dares. Au troisième trimestre 2023, il y a 350 600 emplois vacants. Au même moment, il y a douze à quinze fois plus d’inscrits à Pôle emploi.
En raisonnant de manière simplement arithmétique, l’idée selon laquelle les chômeurs se complaisent dans leurs indemnités alors qu’il y aurait une manne colossale d’emplois est démentie. D’ailleurs, si parmi l’ensemble des contrôles, « seulement » 15 % aboutissent à une radiation, c’est notamment parce que la très grande majorité des chômeurs cherche activement un emploi. (...)
En réalité, tout le monde « traverse déjà la rue ». La figure du chômeur permanent mise en avant pour justifier un durcissement des règles n’existe pas vraiment. (...)
Une des questions jamais posées, c’est la sélectivité des employeurs, leurs besoins et les places qu’ils proposent. Ils veulent des personnes tout de suite opérationnelles. Ce à quoi ils sont confrontés, c’est surtout des difficultés à trouver de nouveaux candidats dans des secteurs où il n’y a pas eu de réelle réflexion sur les conditions de travail. (...)
Une des questions jamais posées, c’est la sélectivité des employeurs, leurs besoins et les places qu’ils proposent. Ils veulent des personnes tout de suite opérationnelles. Ce à quoi ils sont confrontés, c’est surtout des difficultés à trouver de nouveaux candidats dans des secteurs où il n’y a pas eu de réelle réflexion sur les conditions de travail. (...)
Cela conduit à des discours du type : « ceux que m’envoient Pôle emploi sont mauvais » ou « les jeunes ne veulent plus travailler ». (...)
Pôle emploi va devenir France Travail. Que va changer l’obligation d’au moins 15 heures d’activités hebdomadaires pour les inscrits sur cette nouvelle plateforme ?
Luc Sigalo Santos : On ne sait pas grand-chose à ce jour sur la façon dont les contrôles vont se déployer dans ce nouveau cadre. Aujourd’hui, la principale cause de radiations, appelée « gestion de la liste » en interne, repose sur l’absence à un rendez-vous, bien devant le défaut de recherche d’emploi. (...)
L’hypothèse la plus probable à ce stade est donc celle d’une généralisation des obligations aujourd’hui faites aux seuls chômeurs, que l’on décrit dans le livre, à une population bien plus large, plus disparate, plus paupérisée. Peut-être que tout le monde finira par travailler, mais la part de travailleurs pauvres augmentera.