
Lorsqu’il présidait le département des Pyrénées-Atlantiques, le premier ministre a accordé, au bas mot, 1 million de francs de subventions à l’établissement privé à la fin des années 1990. Notre-Dame-de-Bétharram faisait pourtant déjà face à des affaires de violences, dont l’élu était parfaitement informé.
FrançoisFrançois Bayrou savait, et il a continué à financer. Informé des problèmes de maltraitance sur des élèves de Notre-Dame-de-Bétharram, l’actuel premier ministre a quand même engagé la collectivité qu’il présidait à l’époque, le département des Pyrénées-Atlantiques, dans le versement d’au moins 1 million de francs (soit plus de 230 000 euros actuels) de subventions publiques au profit de l’établissement entre 1995 et 1999, d’après des documents consultés par Mediapart.
Ces subventions, pourtant facultatives, ont été accordées en trois tranches à l’organisme de gestion de l’enseignement catholique (Ogec) du collège Notre-Dame-de-Bétharram pour l’accompagner dans des projets d’investissement, en complément des financements réglementaires de fonctionnement que le département est tenu de verser.
D’après les documents du conseil général (devenu conseil départemental depuis la réforme territoriale de 2015) de l’époque, chacune de ces subventions a été soumise au vote des élu·es à la suite de la présentation d’un rapport par François Bayrou en personne, qui a aussi signé les délibérations en tant que président de la collectivité.
Le Béarnais était alors en relation étroite avec Notre-Dame-de-Bétharram, établissement qu’il a soutenu publiquement et dans lequel étaient scolarisés plusieurs de ses enfants. Son épouse, Élisabeth Bayrou, y officiait aussi en tant que catéchiste. (...)
Un soutien financier répété
Comment expliquer que François Bayrou ait signé ces délibérations alors que sa famille était directement liée à cet établissement scolaire ? Le cabinet du premier ministre botte en touche, précisant seulement que « Mme Bayrou n’a jamais été “enseignante” dans l’établissement. Elle a été contributrice bénévole une heure par semaine avec une de ses amies au CM2 pendant neuf mois ».
Ce soutien financier à Notre-Dame-de-Bétharram s’est en tout cas répété ensuite malgré les alertes et mises en cause de l’établissement. En juin 1996, le surveillant général de l’internat est condamné par le tribunal de Pau, au terme d’un procès médiatique, pour avoir crevé le tympan d’un élève. D’autres cas de violences similaires sont relevés dans la presse locale, tandis qu’une professeure de mathématiques déclare avoir alerté François Bayrou, qui cumulait alors la présidence du département avec les fonctions de ministre de l’éducation nationale, et son épouse.
Malgré sa condamnation pénale, le surveillant général n’est pas sanctionné administrativement, bénéficiant du soutien de la direction de l’établissement. Deux ans plus tard, pourtant, François Bayrou propose une nouvelle subvention au profit de Notre-Dame-de-Bétharram pour le « réaménagement de sa salle de restauration ». D’un montant de 299 655 francs (69 995 euros) – le maximum prévu par la loi –, le financement est voté le 24 avril 1998. Il s’agit de la plus importante subvention attribuée par la collectivité parmi les vingt et un collèges privés financés cette année-là.
L’année suivante, rebelote. François Bayrou propose de débloquer 345 119 francs (80 204 euros) pour la deuxième tranche des travaux du self de Bétharram. Là encore, la subvention proposée correspond au plafond de ce que peut légalement donner le département pour contribuer au projet. Entre-temps, l’ancien directeur du collège, le père Silviet-Carricart, a été mis en examen pour viols, en mai 1998. (...)
Un établissement jamais contrôlé
Ces subventions versées à Notre-Dame-de-Bétharram ne semblaient exiger aucune contrepartie. Malgré la douzaine de plaintes et de signalements visant l’établissement pour des violences physiques et sexuelles entre 1993 et 2013, aucun inspecteur n’est allé sur place contrôler l’établissement pendant près de trente ans. Seule une étrange inspection régionale, totalement bâclée, a eu lieu en 1996.
Plus surprenant encore, Notre-Dame-de-Bétharram continue de percevoir de l’argent du conseil départemental malgré la médiatisation du scandale en novembre 2023. (...)
Au total, le département aura versé plus de 1 million d’euros à Bétharram entre 1995 et 2025. (...)
Ces subventions, distribuées par les collectivités au nom de la loi Falloux, auraient pu être bien plus importantes encore. En 1993, alors qu’il était ministre de l’éducation, François Bayrou a pesé de tout son poids pour réviser cette loi, qui plafonne à 10 % maximum l’investissement des collectivités locales dans l’école privée. De cette époque, François Bayrou conserve l’image d’un ardent défenseur de l’enseignement catholique, que seules la censure du Conseil constitutionnel et la pression de la rue ont fait reculer. (...)
comment comprendre que Notre-Dame-de-Bétharram n’ait jamais été contrôlé malgré les graves signalements qui existaient déjà à l’époque ? Dans une enquête du Monde, plusieurs officiels, recteurs et inspecteurs, ont reconnu n’avoir jamais été alertés par l’établissement ou par des élu·es. Ces responsables mettent en lumière un système éducatif parallèle, financé par de l’argent public mais jamais contrôlé. Des inspecteurs avouaient ne pas contrôler les établissements privés, se concentrant uniquement sur le public.
Au ministère, la direction de l’enseignement scolaire n’est même pas compétente sur l’enseignement privé, dont la gestion relève de la direction des affaires financières. « Le privé était un sujet sensible, traité par les ministres ou leurs conseillers », confesse un responsable.
Un cadre académique, dans le sud de la France, donne par ailleurs son diagnostic pour expliquer l’inconsistance des inspections dans le privé : « Au rectorat, personne ne sait inspecter correctement un établissement privé. Nos collègues peuvent analyser le versant pédagogique mais sont totalement à la ramasse sur le volet administratif et financier, souvent faute de formation spécifique ! Donc ça ne se fait pas, et tout le monde s’en fout. » (...)
Et il a fallu attendre le 11 février 2025 pour qu’Élisabeth Borne déclenche une inspection académique à Bétharram, annoncée très en avance, le 17 mars.
Malgré les centaines de plaintes pour viols et violences désormais déposées et l’ampleur du scandale, la ministre de l’éducation nationale refuse toujours de diligenter une inspection générale, seule à même d’enquêter sur plus de trente ans de dysfonctionnements.
Lire aussi :
– Affaire Bétharram : une commission d’enquête va auditionner François Bayrou
Elle débute jeudi 20 mars par le témoignage des victimes : la commission d’enquête parlementaire menée par les députés Paul Vannier, Violette Spillebout et Fatiha Keloua-Hachi veut empêcher « un nouveau Bétharram » dans les établissements scolaires privés ou publics.
Cette fois-ci, le choc est trop important pour passer à autre chose. La commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale lance, pour la première fois de son histoire, une commission d’enquête consacrée aux violences (physiques, psychologiques et sexuelles) en milieux scolaires, dans la foulée des révélations sur le groupe scolaire Notre-Dame-de-Bétharram. (...)
« Nous voulons entendre les victimes et savoir exactement comment l’État contrôle les établissements. » Un travail qui pourrait donner lieu à une proposition de loi.
Tout à sa recherche des diverses « responsabilités » et des « carences », la commission qui démarre jeudi prochain prévoit d’auditionner, sans qu’il puisse s’y soustraire, François Bayrou, l’actuel premier ministre. Il sera entendu sous serment au titre de ses fonctions comme ministre de l’éducation, entre 1993 et 1997, mais aussi comme ancien président du conseil départemental des Pyrénées-Atlantiques. À ces deux postes, il est accusé d’avoir été informé des violences subies par les élèves de Bétharram (où certains de ses enfants étaient scolarisés, et où sa femme enseignait le cathéchisme), et d’avoir néanmoins continué de soutenir activement l’établissement. (...)
Élisabeth Borne, ministre de l’éducation, sera également auditionnée, ainsi que plusieurs acteurs politiques actuels ou passés, mais aussi les principaux responsables de l’administration de l’État, notamment en matière d’éducation (préfets, recteurs, directions des affaires financières, etc.) ainsi que les organisations religieuses telles que le secrétariat national de l’enseignement catholique.
Les exemples concrets ne manqueront pas : dans l’affaire Stanislas, l’ancienne patronne de l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la jeunesse (et actuelle directrice générale de l’enseignement scolaire) continue de défendre le groupe scolaire privé parisien, même après qu’ont été documentées les dérives homophobes et sexistes commises contre les élèves de cet établissement. (...)
Dans le sud-ouest de la France et ailleurs, des collectifs se forment et des voix s’élèvent pour mettre en cause d’autres établissements catholiques, sans que l’on sache encore à quel point les autorités – locales, au sein de l’Éducation nationale ou dans les diocèses – ont fermé les yeux. (...)
Une commission large au calendrier contraint
La discussion sur les contours de cette commission d’enquête, qui doit s’achever à la fin du mois de juin – « Nous faisons face à un calendrier contraint, en raison du risque de dissolution », estime le député insoumis –, a été difficile, de l’aveu même de ses instigateurs. « Le Rassemblement national ne voulait pas que l’on stigmatise l’enseignement catholique », explique Violette Spillebout, qui se réjouit cependant d’un vote final unanime.
Si cela semble avoir été l’une des conditions de cet unanimisme, fallait-il agglomérer dans une même enquête tous les établissements scolaires, le privé sous contrat, hors contrat, et le public ? Le chantier semble, pour les trois mois que va durer la commission, très ambitieux. « On en a beaucoup discuté et fini par trancher sur cet équilibre, même si les affaires actuelles nous amènent vers le privé catholique, explique Violette Spillebout. Car on doit s’attacher au caractère systémique et à pourquoi la chaîne des alertes ne fonctionne pas toujours bien. » (...)