
Dans un rapport publié lundi, l’association Notre affaire à tous et dix organisations ultramarines alertent sur les grandes difficultés d’accès à l’eau en Outre-mer. Le résultat, dénoncent-elles, d’une "discrimination environnementale" entre l’Hexagone et ces territoires ultramarins. Coupures prolongées, fuites d’eau, contamination… France 24 dresse un bilan de la situation.
"Un état des lieux accablant". Dans un rapport publié lundi 23 juin, l’association Notre affaire à tous et dix organisations ultramarines mettent au jour le manque criant d’accès à l’eau potable dans les territoires d’Outre-mer. "Près de trois millions de personnes en France subissent de graves problématiques pour accéder à un service public vital, l’eau potable", alertent les signataires du document, parmi lesquels l’Association pour la sauvegarde du patrimoine martiniquais (ASSAUPAMAR), Guyane Nature Environnement, Mayotte Nature Environnement et l’ONG environnementale Notre affaire à tous.
Pour dresser ce constat, les auteurs du texte ont analysé la situation dans plusieurs territoires ultramarins : Mayotte, la Martinique, la Guadeloupe, la Réunion et la Guyane. Cinq régions dans lesquelles la crise de l’eau dure depuis maintenant plusieurs années. "Cette approche globale nous a permis de relever des problèmes structurels", explique Emma Feyeux, juriste chez Notre affaire à tous et autrice principale du rapport. "Car si chacun de ces territoires a ses spécificités quand il s’agit de l’accès à l’eau, tous connaissent aussi des obstacles communs, à des degrés divers."
En Guadeloupe, 60 % de l’eau s’échappent dans des fuites (...)
Et cette problématique est commune à tous les territoires d’Outre-mer. "Plus d’un tiers de l’eau serait perdue de cette façon à Mayotte, 50 % en Martinique et 60 % à la Réunion", indique le rapport. À titre de comparaison, on estime que 20 % de l’eau potable est perdue par des fuites dans les canalisations en métropole. (...)
Des infrastructures sous-dimensionnées
Au-delà de l’état catastrophique des réseaux, certains territoires doivent aussi composer avec des infrastructures sous-dimensionnées et une dépendance très forte à la pluviométrie. C’est notamment le cas à Mayotte où 92 % de la ressource en eau dépendent directement des eaux de pluie.
Aujourd’hui, l’eau des robinets mahorais vient en effet majoritairement de captages dans des rivières et de forages dans les nappes phréatiques. En période de sécheresse, quand ces réserves s’amenuisent, l’île se retrouve donc rapidement plongée en situation de stress hydrique. (...)
Pour tenter de compenser cette dépendance, Mayotte s’est bien dotée d’une station de dessalement installée à Petite-Terre et de deux retenues collinaires. Mais leurs seules capacités sont loin de pouvoir fournir de l’eau à l’ensemble de la population.
Car, même en dehors des sécheresses, toutes les infrastructures combinées restent insuffisantes pour subvenir aux besoins de la population de plus en plus nombreuse (...)
Généralisation des tours d’eau
Face à ces défaillances, le rapport alerte sur la généralisation des "tours d’eau", où les autorités donnent accès à l’eau potable à la population par intermittence pour tenter de réguler la ressource. À Mayotte, ce système s’est généralisé depuis décembre 2022. Les différents villages de l’île, répartis en trois secteurs, ont accès à l’eau en rotation. Le reste du temps, les robinets sont à sec.
"C’est aussi devenu une partie intégrante du quotidien en Guadeloupe et en Martinique et cela commence à la Réunion", déplore Emma Feyeux. "Cela aurait dû rester une mesure exceptionnelle, destinée à faire face à une crise ponctuelle, mais c’est maintenant quelque chose de généralisé, de planifié et de régulier." (...)
"Environ 15 % de la population guyanaise et 30 % de la population mahoraise ne sont pas raccordés à un réseau d’eau potable" (...)
Contaminations au mercure ou à la chlordécone
Lorsque l’eau est en quantité suffisante et qu’elle ne se perd pas dans les fuites de canalisation, c’est un autre problème qui vient se poser : les risques de pollution, poursuit Emma Feyeux.
En Guadeloupe et en Martinique, le risque est particulièrement élevé en raison de la persistance de contaminations à la chlordécone, un pesticide massivement utilisé dans les bananeraies jusque dans les années 1990 et responsable de nombreux cancers (...)
En Guyane, c’est au mercure que l’eau se trouve régulièrement contaminée. Une pollution particulièrement importante du fait de l’activité aurifère [liée à l’extraction de l’or, NDLR], qui touche en premier lieu les populations vivant sur les berges des fleuves et qui en consomment l’eau et les poissons.
"Les Français les plus pauvres paient l’eau la plus chère"
Malgré toutes ces défaillances, "certains territoires d’Outre-mer paient l’eau la plus chère de France", dénonce le rapport, "alors même que les revenus moyens y sont bien inférieurs par rapport à l’Hexagone et que le service délivré est de moins bonne qualité. (...)
Face à cet état des lieux, l’association Notre affaire à tous dénonce une "discrimination environnementale" qui met à mal "l’idée même d’égalité nationale."
"Les territoires d’Outre-mer ne sont pas traités comme le reste du territoire français. Nulle part ailleurs en France on accepterait une telle situation", estime Emma Feyeux. Et cette juriste d’insister : "On a des territoires où il y a des coupures d’eau organisées toute l’année, qui rencontrent des situations de stress hydrique et de pollution qui seraient inimaginables dans l’Hexagone, et c’est totalement invisibilisé."
Les auteurs du rapport appellent ainsi à prendre plusieurs mesures pour que la situation s’améliore, à court comme à long terme. "D’importants investissements doivent être alloués à l’amélioration des infrastructures ne serait-ce que pour combler le retard par rapport à l’Hexagone", avancent-ils. Le Plan eau DOM, lancé en 2016, évaluait les besoins nécessaires à 2,36 milliards d’euros, mais "seul un tiers a été mobilisé depuis."
Il faut aussi que la France "reconnaisse officiellement sa responsabilité dans ces injustices en matière d’accès à l’eau potable", poursuit Emma Feyeux.
Pour faire bouger les choses, les dix associations et Notre affaire à tous feront porter le texte au rapporteur spécial de l’ONU sur l’eau potable afin qu’il y ait "un éclairage international et une pression mise sur l’État français". À temps, espèrent-ils, pour éveiller les consciences avant un nouveau Plan eau à destination des Outre-mer prévu pour 2026.