
(...) Le 28 février, LFI publie sur ses réseaux sociaux un visuel mettant en scène Nathalie Saint-Cricq :

Dès le lendemain (28/02) et pendant plusieurs jours, éditorialistes et journalistes politiques s’emballent sur X (ex-Twitter). Adressant sa « solidarité » avec Nathalie Saint-Cricq, Ruth Elkrief accuse : « Liberté de la presse attaquée. Il ne faut pas laisser passer. » Directeur délégué de la Tribune Dimanche, Bruno Jeudy affiche lui aussi un « soutien total » à sa consœur et condamne « LFI, ce parti qui jette en pâture le nom des gens et des journalistes singulièrement, comme le faisait jadis Jean-Marie Le Pen dans ses réunions publiques. » Tête pensante de France Info, Renaud Dély dégaine la même référence : « Il fut un temps où c’est [Jean-Marie Le Pen] qui jetait en pâture les noms des journalistes qu’il exécrait et toute la gauche s’indignait. Aujourd’hui, quand [Jean-Luc Mélenchon] livre le nom d’une journaliste à la vindicte de ses troupes, la gauche se tait, hélas. Soutien total à Nathalie Saint-Cricq. »
Même ambiance, autre comparaison du côté de la grand reporter au Monde, Annick Cojean (...)
Alternant remontrances et câlinothérapie, les hauts-gradés du service public répondent évidemment présents. Présentatrice du « 12.13 info » sur Franceinfo et chroniqueuse dans « C à vous », Émilie Tran Nguyen rend un hommage appuyé à sa consœur traînée dans la boue : « Mon plein soutien à Nathalie Saint-Cricq, grande journaliste politique, libre, sincère. Je tiens ici à saluer son professionnalisme sans faille et la rigueur qu’elle met depuis toujours au service de son métier. » Julian Bugier, présentateur du « 13h » de France 2, dirait même plus : « Nathalie est une grande pro et une super journaliste. » La société des journalistes de France Télévisions-rédaction nationale y va de son communiqué officiel contre le « dénigrement » de l’éditorialiste. Lequel est relayé ensuite par la SDJ de Franceinfo, qui « apporte son soutien total à Nathalie Saint-Cricq ». Aux grands personnages les grands moyens, la présidente de France Télévisions, Delphine Ernotte, sort le mégaphone (...)
De Twitter aux médias : un certain sens de la hiérarchie de l’info
Loin d’être cantonnée aux réseaux sociaux, la « polémique » est promue au rang de scandale : elle mérite de toute évidence une dépêche AFP (29/02), qui fait le tour de la PQR comme de la presse nationale. Le Parisien propose carrément une (courte) enquête (1/03), dans laquelle, divine surprise, Nathalie Saint-Cricq « a accepté de [...] livrer son sentiment » (...)
De Twitter aux médias : un certain sens de la hiérarchie de l’info
Loin d’être cantonnée aux réseaux sociaux, la « polémique » est promue au rang de scandale : elle mérite de toute évidence une dépêche AFP (29/02), qui fait le tour de la PQR comme de la presse nationale. Le Parisien propose carrément une (courte) enquête (1/03), dans laquelle, divine surprise, Nathalie Saint-Cricq « a accepté de [...] livrer son sentiment » (...)
Non-dits, confusion et aveuglement
Ce puissant réflexe de corps – et de classe – pourrait faire sourire s’il n’était pas symptomatique des tares du journalisme politique dominant.
De sa futilité, d’abord, et de sa défense à géométrie variable de « la liberté de la presse ». A-t-on lu ou entendu un mouvement collectif de protestations comparable face au sort des journalistes massacrés à Gaza ? « Au moins 94 journalistes », dont « la majorité [...] (89) étaient des Palestiniens tués par l’armée israélienne », comme on peut le lire dans une lettre signée d’une trentaine de médias internationaux le 29 février, à laquelle seule s’est jointe l’AFP du côté des médias français, et qui n’a par ailleurs reçu aucun écho de la part de nos grands indignés ? Les éditocrates qui ignorent superbement d’authentiques combats à mener en faveur d’une liberté effective de la presse – et ils ne manquent pas ! –, se mobilisent courageusement pour pilonner quiconque ose se moquer d’une consœur. Voilà qui est « juste et sain » et renforce à coup sûr la « démocratie ».
De son impudence, ensuite, mélange de cynisme et d’arrogance : s’estimant outragées par une pointe sarcastique contre l’une des leurs, les vedettes de la profession n’hésitent pas à sortir le bazooka, les comparaisons injurieuses, les grands mots et les grandes leçons, usant d’une violence et d’une outrance dont ils ne supporteraient pas le quart.
De son aveuglement, enfin, quant à ses propres partis pris : ceux de gardiens de l’ordre social, qui épousent l’idéologie dominante au point de ne pas s’en apercevoir, et dont Nathalie Saint-Cricq, en mission politique permanente, n’est qu’un exemple. Certes criant, comme le relevaient il y a peu... des journalistes, à l’occasion de la mobilisation contre la réforme des retraites (...)
À chaque apparition en plateau, l’éditorialiste politique de France Télévisions déverse sa déférence, plutôt que son indépendance. Courtiser plutôt qu’analyser, voilà la véritable honte du service public. Dans quel autre pays peut-on entendre une journaliste expliquer la révolte populaire par la personnalité d’un président qui "réussit, qui est jeune, qui est diplômé et qui est riche". [...] Cette déconnexion effarante contribue pleinement à la montée de la défiance des téléspectateurs envers nos éditions et émissions d’information. [...] Le traitement partisan et orienté parisien n’est plus tolérable sur nos antennes. Le public est en droit d’attendre autre chose que des opinions de la part de ceux qui s’expriment au nom de France-télévisons. La France est excédée par la violence de l’exécutif macroniste. Ceux et celles qui ne le voient pas, et ne le comprennent pas, n’ont rien à faire sur les plateaux de la télé publique.
Publié le 28 mars 2023 par la section CGT de France Télévisions, ce communiqué salutaire – et autrement plus brutal qu’une affiche constatant simplement que l’éditorialiste « vote » – n’avait alors suscité aucune indignation chez tous les gardiens de l’ordre précédemment cités : il est vrai qu’il émanait de journalistes, fussent-ils encartés à la CGT.
Manifestement, et c’est là le plus amusant de cette affaire, nos éditocrates ne semblent pas toujours comprendre le « sous-entendu », pourtant fort simple – et difficilement contestable – de l’affiche : Nathalie Saint-Cricq a des opinions politiques qui, pour n’être pas affichées explicitement par l’intéressée, n’en sont pas moins parfaitement identifiables, et clairement opposées à celles défendues par LFI. (...)
C’est sans doute ce qui explique que le radicalisé Pascal Praud ou l’autoproclamé macroniste Christophe Barbier [5], pourtant « journalistes » eux aussi, n’ont pas trouvé autant de défenseurs : la faute à leurs partis pris plus assumés [6]. Sous-entendre que Nathalie Saint-Cricq serait, au fond, faite du même bois, voilà qui vient fracasser le grand mythe de la « neutralité » journalistique, nécessaire à la bonne conscience des journalistes pataugeant dans l’idéologie dominante. (...)