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Guerre au Soudan : la bataille des discours
#Soudan
Article mis en ligne le 29 mai 2025
dernière modification le 27 mai 2025

Comment les acteurs de la guerre au Soudan justifient-ils toute cette violence ? Dans ce texte, la militante Muzan Alneel analyse les discours mobilisés par les deux camps pour s’attirer le soutien de la population. Elle défend la nécessité de mettre en avant un contre-discours révolutionnaire, fondé sur des analyses de gauche, pour proposer une alternative politique crédible.

On trouve dans le débat public soudanais des définitions divergentes de la guerre, à travers des expressions telles que « guerre existentielle », « guerre pour la dignité », « guerre pour la démocratie », « guerre absurde », « guerre contre l’État de 1956 » ou « guerre contre le néocolonialisme ». Ce phénomène n’est ni rare, ni inattendu au Soudan. Il reflète une dynamique globale en temps de guerre dans laquelle des récits concurrents prolifèrent. Ces récits découlent de la nécessité pour les forces combattantes de justifier leurs stratégies politiques et de mobiliser le soutien populaire en faveur de leurs opérations militaires.

A travers des discours qui cherchent à légitimer leurs positions, les parties impliquées dans le conflit au Soudan s’affrontent non seulement sur le champ de bataille, mais aussi dans l’arène de l’opinion publique. Tous les groupes affectés par le conflit, qu’ils soient affiliés à l’un des camps ou extérieurs à ceux-ci, s’emploient à créer leurs propres récits, qui reflètent les enjeux idéologiques, les intérêts matériels et les stratégies de survie propres à chacun. (…)

Une réponse révolutionnaire à ce narratif aurait été de refuser de définir la légitimité sur la base de revendications abstraites, et de la fonder plutôt sur la manière dont chaque partie affecte la vie des gens. Cela commence par affirmer que la sécurité est un droit fondamental, et non une monnaie d’échange utilisée pour justifier un régime militaire. Nous devons aussi rappeler que la prétendue « stabilité » antérieure mise en avant par les militaires était un régime fondé sur la violence et l’exploitation systémique, que nous devons vaincre, et non raviver.

Comment les civils se positionnent-ils par rapport à ces discours ?

Parmi les civils non armés soutenant l’une ou l’autre des parties au conflit, les définitions de la guerre et les indicateurs de victoire varient en fonction des classes sociales. Pour les groupes aisés, disposant de richesses matérielles ou de privilèges hérités, la priorité est de prendre le contrôle des lieux emblématiques du pouvoir souverain et des monuments historiques, ce qui montre leur désir de restaurer les structures sociales qui sous-tendent leur statut. A l’inverse, les communautés marginalisées mettent l’accent sur le besoin de sécurité et de services de base. (…) Ces priorités divergentes révèlent un net clivage social.

Les discours de la société civile évoluent également dans le temps. Certains groupes, qui avaient initialement rejeté les exigences de loyauté inconditionnelle de l’armée soudanaise, les ont ensuite acceptées face à la fatigue de la guerre et au désespoir de trouver une solution. D’autres, qui s’étaient moqués des revendications absurdes des RSF prétendant mener une « guerre pour la démocratie », ont fini par les approuver tacitement face à la montée d’un discours nationaliste pro-armée qui renoue avec la tendance centralisatrice de l’État soudanais et risquerait de perpétuer leur marginalisation. (…)

Cette approche survivaliste de la guerre existe aussi bien chez les civils non organisés que chez les groupes de résistance organisés. (…)

Cette spirale ne peut être brisée que par la construction d’un parti de gauche organisé, capable de construire des institutions idéologiques et culturelles révolutionnaires pour contrer l’hégémonie de la classe dirigeante, les compromis bourgeois et les trahisons du système existant.

L’expérience récente a constamment souligné la nécessité d’un parti révolutionnaire. Une telle organisation - basée sur les principes socialistes et la délibération démocratique - analyserait systématiquement les stratégies et contrerait la propagande de la classe dirigeante, fournirait aux exploités une analyse et un projet politique alternatif qui placerait leurs priorités et leurs besoins en tête de son programme, et mobiliserait collectivement les leçons tirées des luttes passées. Elle lutterait également en interne contre les tendances bourgeoises des intellectuels, qui sont souvent déformées par des préjugés résultant de leurs privilèges matériels, façonnés par l’accès aux ressources, à l’éducation et à la formation institutionnelle, ce qui les conduit à s’écarter des intérêts de la majorité de la population.

Même si les récits révolutionnaires se sont estompés, il existe encore des aperçus occasionnels d’un projet alternatif, incarné par des demandes populaires pour une paix juste ; des aperçus qui sont fugaces, mais réels.

Cette mission, loin des projecteurs, est urgente et inévitable.