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Mediapart
Handicap à l’école : faute de moyens, des familles contraintes de faire classe à la maison
#educationNationale #ecoleInclusive #handicaps
Article mis en ligne le 29 octobre 2025

En raison du manque d’accompagnement dans les classes ou de places en institut spécialisé, des parents, le plus souvent des mères, sont contraints de retirer leur enfant de l’école pour pratiquer l’instruction en famille. Parfois, c’est même l’Éducation nationale qui les y incite.

En septembre, pour la deuxième année consécutive, Matthias n’a pas fait sa rentrée sur les bancs de l’école. Depuis qu’il a quitté la primaire, ce jeune de 13 ans suit sa scolarité à son domicile, dans une petite ville située à une vingtaine de kilomètres de Nantes.

L’école à la maison peut être pratiquée par les familles si les autorités académiques l’autorisent. Depuis la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, l’instruction en famille (IEF) doit faire l’objet d’une autorisation préalable. Auparavant, un régime de déclaration était en vigueur. En 2024-2025, sur 40 846 demandes, 30 644 enfants ont été autorisés à être instruits dans leur famille, indique la Cour des comptes dans un rapport de juin 2025.

Mais pour Angélique, la maman de Matthias, l’IEF n’a pas été un choix. Matthias est porteur d’un trouble du spectre autistique (TSA). Sa scolarisation en primaire s’est déroulée en classe Ulis (unité localisée pour l’inclusion scolaire) mais la MDPH (maison départementale des personnes handicapées) n’a pas validé son entrée dans une 6e Ulis. « Il devait donc aller en IME (institut médico-éducatif) », raconte Angélique. Sauf que le garçon est sur liste d’attente pour plusieurs IME, « parfois depuis cinq ans », poursuit-elle.

Dès lors, deux possibilités s’offraient à la mère de Matthias : inscrire son enfant en classe ordinaire au collège ou recourir à l’IEF. « Dans un collège normal, avec 25-30 élèves par classe et le bruit qui va avec, ce n’était pas possible. La seule solution qu’on avait, pour son bien, c’était de le scolariser à la maison. » (...)

Depuis la loi du 11 février 2005, l’inclusion en milieu scolaire ordinaire des élèves en situation de handicap, avec « la prise en compte de leurs singularités et de leurs besoins éducatifs particuliers », « constitue en France un principe de droit », a pourtant rappelé la Cour des comptes, dans un rapport de septembre 2024. L’école inclusive a même été érigée en priorité par Emmanuel Macron en 2017.

Cette politique a eu un « apparent succès quantitatif », analyse un rapport parlementaire de juillet 2025. Le nombre d’élèves en situation de handicap accueilli·es en milieu ordinaire est passé de 155 000 en 2006 à près de 500 000 en 2025. Celui des AESH (accompagnant·es d’élèves en situation de handicap) est passé de 93 000 en 2017 à 134 000 en 2024.

« Mais dans quelles conditions ? », interroge Amandine Bugnicourt, secrétaire générale de l’association Ambition école inclusive. Car le rapport pointe aussi « un échec qualitatif », l’accueil des élèves en situation de handicap « se résum[ant] trop souvent à la seule intervention des AESH, trop peu nombreuses, mal formées et précaires ». Le projet de loi de finances de 2026 prévoit d’ailleurs un ralentissement du nombre de créations de postes d’AESH : 1 200, contre 2 000 l’an dernier et 3 000 l’année précédente. Les professeurs également, peu formés aux questions de handicap, « se sentent démunis », analyse la Cour des comptes.

Du sous-entendu à l’incitation

Conséquence : alors que l’école inclusive est prônée et que les possibilités d’IEF ont été limitées, des parents se retrouvent contraints de déscolariser leur enfant. (...)

« C’est sournois : avec des phrases comme “votre enfant bouge trop” ou “il n’a qu’une heure d’AESH”, l’école fait comprendre qu’elle ne peut plus l’accueillir », renchérit Élisabeth Lammers, vice-présidente de l’Unapei, principal réseau d’associations de parents d’enfants handicapés.

Parfois, les sous-entendus se transforment en incitations. « L’an dernier, mon fils a été beaucoup absent pour des raisons médicales, et au 30 juin, la directrice de l’école et l’inspecteur de l’Éducation nationale (IEN) m’ont suggéré de le retirer de l’école », témoigne Mélanie*, elle-même AESH dans l’académie de Créteil.

« Depuis la grande section, on le poussait vers l’extérieur. Le directeur et les psychologues scolaires nous disaient que c’était de la maltraitance de le laisser à l’école. Pour moi, aujourd’hui, ils ont gagné. »
Angélique, mère d’un enfant porteur d’un trouble autistique

(...)

L’Unapei a d’ailleurs créé une plateforme qui recueille de nombreux témoignages en ce sens. « En tant que parent d’enfant en situation de handicap, on ressent une pression gigantesque sur la déscolarisation, même si c’est un mot tabou. On redoute tous le moment où l’école nous annoncera qu’elle ne peut pas le garder », souffle Thomas*, père d’un enfant porteur de trisomie 21 dans le Rhône.
L’embarras des rectorats

Et pour cause. Dans le Rhône, la direction académique a conçu un protocole départemental pour la gestion des élèves au comportement difficile dans le premier degré. Lorsque toutes les solutions d’aménagement ont échoué et « en cas de crises répétées et/ou de blocage avec la famille », l’inspecteur de l’Éducation nationale peut préconiser un « aménagement de la scolarité », ce dernier pouvant signifier une scolarisation à domicile.

« On peut effectivement aller jusqu’à prononcer une déscolarisation partielle ou totale, reconnaît Séverine Vuillaumer, professeure et secrétaire académique de la FSU-SNUipp à Lyon. Les enseignants croient vraiment en l’école inclusive. C’est un vrai échec d’avoir ces élèves à la maison, mais on est à un point où il y a tellement d’arrêts maladie d’enseignants et d’AESH liés aux difficultés de l’inclusion que l’institution est obligée de réagir. » (...)

Pour les associations, la loi de 2021 induit un renversement de la responsabilité de l’État. « Celle-ci le dédouane de ses obligations, puisque les parents qui déscolarisent leur enfant doivent désormais faire une demande d’autorisation qui ne distingue aucunement les situations où l’IEF est un choix de celles où elle est subie », poursuit la responsable d’Ambition école inclusive.

« Les parents se retrouvent ainsi contraints de se porter garants de l’instruction de leur enfant », confirme Élisabeth Lammers, de l’Unapei, qui déplore que « cette responsabilité pèse essentiellement sur les femmes ». Mère célibataire, Mélanie a été obligée de demander un congé parental et compte désormais sur le RSA pour compléter ses maigres revenus d’AESH.

Angélique était secrétaire et a stoppé son activité. (...)

En plus d’être aidantes, toutes ont par ailleurs dû apprendre à « devenir prof ». « Mon fils est inscrit au Centre national d’enseignement à distance (Cned), mais il n’y a rien de suffisamment adapté, alors je réaménage tous les supports. J’ai même suivi des formations sur Groupon [plateforme d’achats en ligne – ndlr] sur l’accompagnement des enfants “dys” », raconte Alexandrine.

Aujourd’hui, malgré les difficultés liées à l’IEF et les risques de désocialisation, ces familles n’envisagent pas de remettre leur enfant à l’école. « J’ai complètement perdu confiance dans le système actuel. À la maison, au moins, je suis sûre qu’il apprend et qu’il n’est pas laissé de côté », ajoute Alexandrine, qui « envisage même de changer de pays » si son autorisation n’est pas reconduite l’année prochaine.