
Il y a d’abord le discours public, nécessaire, a martelé Élisabeth Borne, lors d’une conférence de presse à l’hôtel de Matignon le 27 septembre. Une parole politique « implacable », pour que la « mobilisation générale » soit effective, pour que se « libère la parole » en matière de harcèlement scolaire.
Cette politique de mise en mots produirait déjà ses effets, a insisté dans son sillage le ministre de l’éducation nationale, Gabriel Attal, évoquant ces derniers jours un « tsunami de témoignages » des enfants victimes et de leurs familles, « multipliés par trois depuis trois semaines » en comparaison aux niveaux de la rentrée 2022. Le gouvernement fait par ailleurs le choix d’un numéro unique, le 3018, assorti d’une application du même nom, pour récolter les alertes et témoignages.
De quoi obliger à une certaine lucidité, que n’a pu esquiver la première ministre : « Cette libération de la parole va mettre à l’épreuve tous nos dispositifs »
Faisant le constat que ce « fléau » déborde largement des salles de classe, par le biais des réseaux sociaux, le plan interministériel contre le harcèlement scolaire s’étend d’ailleurs largement à la santé, le sport, le numérique ainsi qu’à la justice. (...)
C’est sans doute ce volet qui pose le plus question quant à sa faisabilité. La saisine du procureur sera désormais systématique en cas de signalement pour harcèlement, notamment grâce à une plateforme dédiée commune entre l’Éducation nationale et la justice. « Je souhaite également une saisine systématique des procureurs pour les plaintes », a précisé la première ministre.
« On le craignait, car ça donne à penser que la justice est la solution magique, commente Aurélien Martini, vice-procureur au tribunal de Melun et secrétaire général adjoint de l’Union syndicale des magistrats (USM). Or nous ne devrions intervenir que quand tout le reste a échoué. C’est vraiment la fausse bonne idée. »
Le risque ? L’ensevelissement des parquets, pour des affaires qui exigent « comme pour les violences conjugales du cousu main », surtout si l’on considère, comme l’a fait le Sénat en 2021, que deux élèves par classe sont concernés. (...)
Le gouvernement veut aussi mettre en œuvre deux autres mesures, pour les faits les plus graves. (...)
« Rien de nouveau là-dedans, confirme Aurélien Martini, vous pouvez saisir, puis confisquer, comme un couteau qui permettrait le crime par exemple. Cela revient à mettre une amende car les élèves vont racheter un téléphone, mais pourquoi pas ? »
Plus retors techniquement, le bannissement des plateformes Facebook, Instagram et TikTok dès le début du contrôle judiciaire des jeunes, ou en aggravation de la peine une fois le harcèlement prononcé par le juge. L’avenir d’une telle mesure dépend cependant largement de l’issue de la loi sur la régulation de l’espace numérique, et de la capacité du gouvernement français et de l’Europe à gagner son « bras de fer » avec les Gafam.
La formation des acteurs : sur le terrain, le bât blesse (...)
Le mystère sur la qualité et la quantité de ces formations reste entier. Gabriel Attal a répété son intention de généraliser le programme « pHARe » à tous les établissements scolaires ; lequel consiste à former cinq référents, adultes et enfants, ces personnes ayant ensuite la charge d’essaimer leurs connaissances au sein de leur école, collège et lycée.
Mais la mise en œuvre concrète de pHARe est déjà constamment décriée sur le terrain (...)
Au registre des solutions, apparaît enfin comme prévu les cours d’empathie, méthode inspirée du Danemark, où Gabriel Attal s’est rendu récemment, afin de développer dès le plus jeune âge les « compétences psychosociales » des élèves. Ces cours intégrés au programme officiel seront mis en place dès le mois de janvier dans certains lieux pilotes, généralisés à la rentrée 2024, et dispensés par les enseignant·es du premier degré.
Le ministre n’a pas précisé non plus les conditions de formation des enseignant·es sur ce sujet, alors même que toute l’organisation de la formation continue doit être largement revue, cette année, pour répondre à la problématique des enseignant·es absent·es et non remplacé·es.
Des dispositifs médicosociaux parfois en lambeaux (...)
Si les discours des différents ministres ont tous insisté sur la souffrance des victimes et de leurs familles, la première ministre implorant de ne pas « minimiser » ce que beaucoup d’adultes considèrent encore trop souvent comme des « chamailleries », peu d’attention a été portée aux élèves harceleurs dans ce grand plan. Un impensé coupable. « Le harceleur peut aussi être un jeune embarqué dans une action de groupe et donc les mesures éducatives sont importantes », a simplement souligné la première ministre.
Le gouvernement a au contraire persisté dans la mise en œuvre de deux nouvelles circulaires qui permettent leur exclusion rapide des établissements, et ce, dès l’école primaire. C’est une demande de plusieurs associations et des familles, mais qui ouvre un abîme en matière de droit à l’éducation.