
Repas écourtés, journées passées au lit, toilettes tardives malgré les draps et vêtements souillés : en maison de retraite ou à l’hôpital, le manque de personnels auprès des personnes âgées peut conduire à une forme de "maltraitance", un constat partagé par les familles, les soignants et les médecins.
"A quand des moyens dignes en soins de longue durée" (SLD), s’interroge dans un tweet le gériatre Christophe Trivalle, dévoilant un rapport interne de l’Assistance-Publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP) sur ces structures où vivent les seniors trop malades pour les maisons de retraite.
Daté d’octobre 2015 mais toujours d’actualité, selon le médecin, le document évalue la charge de travail des soignants dans cinq unités du CHU francilien (Bretonneau, Paul-Brousse, René-Muret, Rothschild, Sainte-Périne).
Son constat ? "Les soins prodigués ne sont pas en adéquation avec les soins requis". En moyenne et par patient, les aides-soignants disposent de 12 minutes pour la toilette du matin, 6 pour le change du soir, et... 4 pour l’aide au repas, bien loin des 10 à 15 minutes minimum nécessaires.
Certes, il s’agit de moyennes, certains séniors s’alimentant seuls. Mais sur le terrain, les personnels "jonglent", confirme Martine Desmarest, ex-cadre à Paul-Brousse, retraitée depuis peu.
"Impossible" de faire manger un patient en 4 minutes, s’offusque Sylvie (le prénom a été changé), ancienne aide-soignante à René-Muret. Sauf que souvent, "le repas est donné rapidement, le patient tousse, alors le soignant stoppe".
En cause, le manque d’effectifs, comme souvent à l’hôpital, soumis à de fortes contraintes budgétaires. (...)
la charge de travail s’est alourdie, selon une récente étude du ministère de la Santé. Avec une politique favorisant le maintien à domicile des séniors, leur entrée en établissement se fait plus tardivement, pour un niveau de dépendance accru.
Conséquence, "sans augmentation importante des moyens", les cadences s’intensifient pour les personnels, "engagés", qui évoquent la "pression de la pendule" au détriment du relationnel et "en viennent régulièrement à parler de maltraitance, même passive, à l’égard des résidents", d’après l’étude.
Maud, aide-soignante intérimaire en Bretagne, refuse de remettre les pieds dans certains Ehpad, où elle se retrouve seule "pour 15 personnes", où les couchers débutent à 15 heures... et où on lui demande de retirer la robe qu’elle vient d’enfiler à une "petite mamie" pour la mettre par-dessus sa chemise de nuit "parce que ça ira plus vite le soir".
– Peur des représailles -
Les tensions organisationnelles n’échappent pas aux proches des résidents, qui alertent "beaucoup trop souvent" la Fnapaef (fédération des amis et familles des personnes âgées), selon son président Joseph Krummenacker.
Ni au Défenseur des droits, pour qui les effectifs sont "le noeud du problème". (...)
Représentante des familles dans un établissement francilien, Christiane Antoine constate leur "peur" face aux "dentier perdu, prothèse auditive éteinte, bas de contention mal mis" remarqués lors des visites. Sans parler de la tendance à "coucher très tôt" les personnes "très handicapées", en dépit de leur intérêt potentiel "pour un documentaire, de la musique"...
Or celles-ci pourraient devenir bien plus nombreuses : d’après l’Insee, en 2040, les personnes de 75 ans et plus représenteront près de 15% de la population, contre 9% actuellement.