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« Ils sacrifiaient nos vies pour sauver leurs exploitations » : la révolte des ouvriers agricoles
#ouvriersAgricoles #exploitation #migrants #Maroc #femmes #harcelementsexuel
Article mis en ligne le 15 octobre 2025
dernière modification le 13 octobre 2025

Exploitée dans des entreprises agricoles en Provence, Yasmine Tellal est aujourd’hui le visage de la lutte des travailleuses et travailleurs agricoles étrangers. Son audience en appel se tient lundi 6 octobre à Aix-en-Provence.

(...) Après un long combat judiciaire contre ses anciens employeurs, cette ex-ouvrière agricole qui a multiplié les missions de cueillette de fruits, de légumes et de conditionnement dans différentes exploitations agricoles, a rendez-vous — elle espère cette fois-ci pour la dernière fois — le 6 octobre devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence.

« L’enjeu est cette fois d’obtenir une requalification en CDI de tous les faux contrats qu’ont signés Yasmine et les autres plaignants », explique Mathieu Espert, membre du Codetras, le collectif de défense des travailleur·euses étranger·ères dans l’agriculture.

Originaire du Maroc, Yasmine Tellal est arrivée en Europe à 7 ans. Elle a grandi en Espagne, travaillé dans le prêt-à-porter, avant de décider fin 2011, à 29 ans d’accepter la proposition de Laboral Terra, une entreprise d’intérim espagnole, de partir en France.

« On nous a proposé un emploi pour travailler dans les champs, dans le sud de la France. C’était la crise en Espagne et, avec une amie, on a décidé de tenter notre chance. Ce pays me faisait rêver. J’ai toujours lu beaucoup de livres sur la France, qui incarnait pour moi le pays des droits de l’homme et de la liberté » (...)

« Laboral Terra nous avait promis de nous payer le voyage et qu’on aurait un logement en France, poursuit-elle. On nous a donné 100 euros pour venir, et, arrivées sur place, à Avignon, l’horreur a commencé. »

Celle qui se définit comme une « lanceuse d’alerte » affirme alors qu’elles n’avaient finalement pas de logement sur place, et que certains responsables en France de l’entreprise de travail temporaire Laboral Terra leur proposaient de les loger chez eux, en échange de rapports sexuels.

« Toutes les femmes qui arrivaient sont passées par cette épreuve, soutient Yasmine Tellal. Il y avait un chantage sexuel constant, et ils pouvaient arrêter notre contrat si on refusait de coucher avec eux. »

L’entreprise espagnole choisissait de proposer ces contrats à des femmes originaires du Maroc. « Laboral Terra ciblait les femmes, souvent analphabètes, poursuit-elle, la voix claire, parfaitement posée. On était une population vulnérable et donc intéressante pour eux. Ils pouvaient exercer du chantage et avoir une emprise sur nous. »

Pour proposer cette main-d’œuvre aux entreprises agricoles françaises, Laboral Terra s’appuie sur une directive européenne de 1996 sur le travail détaché, qui permet à des travailleurs communautaires ou ayant un titre de séjour dans un pays de l’Union européenne d’aller travailler dans un autre État membre.

Un cadre juridique largement dévoyé dans les faits, selon Yasmine Tellal (...)

« Nos contrats étaient arrêtés sans préavis dès qu’on osait dire quelque chose », se souvient l’ancienne ouvrière agricole.
Un racisme omniprésent

Aujourd’hui, Yasmine et ses anciens collègues souffrent de nombreuses pathologies, de stress, de douleurs physiques chroniques, qu’ils imputent à ces terribles conditions de travail dans les champs du sud de la France. L’ancienne ouvrière agricole dénonce également un racisme omniprésent chez les gérants de ces exploitations.

« Ils nous disaient souvent qu’on n’avait aucune valeur à leurs yeux. Certains jours, ils disaient aux travailleurs français de rester chez eux, mais nous, on devait quand même venir. C’était les jours où ils pulvérisaient des pesticides dans les champs, parfois directement sur nos têtes », affirme-t-elle, en s’appuyant sur sa béquille, devenue nécessaire pour faire face à sa sclérose en plaques.

« On entendait, dans certaines exploitations, que c’était difficile pour les agriculteurs français, que certains se suicidaient. Dans le même temps, ils nous exploitaient comme des animaux. On avait l’impression qu’ils choisissaient de nous sacrifier, de sacrifier nos vies en tant qu’étrangers, pour sauver leurs exploitations agricoles », souligne-t-elle.

« Donner la force à d’autres femmes de dénoncer leurs conditions de travail » (...)

une plainte au pénal est déposée.

« On a fait cela pour faire reconnaître tout ce que Laboral Terra nous a fait subir, mais aussi toutes ces entreprises françaises qui nous ont maltraitées. Tout le monde savait que ce n’était pas légal, tout le monde était au courant de ces abus », dit fermement Yasmine.

En 2020, c’est une première victoire : Laboral Terra est condamnée à verser des rappels de salaires aux plaignants, mais la justice ne reconnaît pas le caractère illégal des contrats.

Le tribunal correctionnel d’Avignon se montre plus sévère en 2021, en condamnant Diego Carda Roca et Sonia Ferrandez Fullera, les deux dirigeants de l’entreprise espagnole, à cinq ans de prison ferme, dont trois ans avec sursis, et à 10 000 euros d’amende pour travail dissimulé commis en bande organisée.

En 2023, le même tribunal, appelé à statuer sur le préjudice moral subi par ces salariées et salariés, avait condamné le couple à leur verser 100 000 euros d’indemnités — une décision confirmée en appel à la cour d’appel de Nîmes le 19 juin dernier. (...)

La reconnaissance de l’implication de ces entreprises françaises est également l’un des combats de Yasmine Tellal, qui attend l’audience du 6 octobre avec impatience.

« C’est notre futur qui se joue ce lundi à Aix-en-Provence. J’espère aussi qu’en montrant mon visage, en parlant aux médias, cela donnera de la force à d’autres femmes — qu’elles soient caissières, dans le nettoyage ou dans les champs — pour dénoncer leurs conditions de travail et les abus qu’on leur fait subir », poursuit l’ancienne ouvrière agricole.