
Alors que la ministre déléguée à l’enfance a annoncé mercredi (3 avril) une « nouvelle gouvernance » pour la commission indépendante sur l’inceste, des documents récoltés par Mediapart mettent au jour l’inconsistance des mesures prétendument mises en œuvre à la suite du rapport remis en novembre 2023.
prèsAprès avoir tué la première, échoué pour la deuxième, le gouvernement tente une nouvelle relance de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise). Mercredi 3 avril, la ministre déléguée à l’enfance, Sarah El Haïry, a annoncé au Figaro une nouvelle « gouvernance » pour la structure : un « collège directeur » composé de quatre membres, parmi lesquels figure l’ex-député macroniste Bruno Questel.
Il sera entouré de Maryse Le Men Régnier, magistrate et présidente de la fédération France Victimes, Solène Podevin Favre, présidente de l’association Face à l’inceste, et Thierry Baubet, psychiatre spécialiste du psychotrauma et codirecteur scientifique du Centre national de ressources et de résilience (Cn2r).
Cette nouvelle direction collégiale aura la lourde tâche de rétablir la confiance après l’éviction, en décembre 2023, du juge Édouard Durand, coprésident et figure de proue de la toute première Ciivise, mise en place en 2021 dans le sillage de la déferlante #MetooInceste, qui avait suivi la parution du livre de Camille Kouchner, La Familia grande (Le Seuil, 2021). Mais la présence d’un ex-parlementaire de la majorité en son sein fait déjà douter de l’indépendance réelle dont bénéficiera cette commission.
Jeudi 4 avril, l’avocat Rodolphe Costantino a annoncé sa démission pour cette raison : « La commission ne se présente plus aujourd’hui, selon moi, dans l’esprit de ce que fut la précédente instance œuvrant en toute indépendance. » (...)
si Emmanuel Macron s’était engagé, durant la campagne présidentielle, à ce que ces préconisations soient « suivies d’effet », les intentions de l’exécutif restent aujourd’hui pour le moins nébuleuses. L’enjeu est pourtant colossal, 160 000 enfants étant sexuellement violentés chaque année. (...)
Pénurie à tous les étages
Plus de la moitié des préconisations approuvées par l’exécutif concernent le traitement judiciaire des violences sexuelles sur mineur·es. Mais la prétendue « mise en œuvre » de certaines de ces mesures paraît si peu effective que des expert·es, contacté·es par Mediapart, y voient « du pur affichage politique ». (...)
De timides avancées
Le manque de moyens humains est le même dans la justice, malgré le recrutement de 1 500 magistrat·es d’ici à 2027. (...)
En 2020, la France comptait 3 procureur·es pour 100 000 habitant·es, contre 11,8 en moyenne dans des pays européens.
Là encore, les carences de personnels coïncident avec la difficulté à former des magistrat·es spécialisé·es sur les violences sexuelles. (...)
« Notre classe politique se paie de mots », se désespère l’avocate Marie Grimaud et ex-membre de l’éphémère Ciivise 2, dont elle a claqué la porte le 26 mars 2024. « Il serait tellement plus transparent et honnête de dire que cela va prendre du temps, plutôt que de faire croire que les choses sont déjà à l’œuvre ou en cours d’application. »
Seule une poignée de mesures « mise[s] en œuvre », selon le gouvernement, sont réellement engagées. C’est notamment le cas du déploiement, dans chaque juridiction, d’unités d’accueil et d’écoutes pédiatriques (UAPED), lieux où les enfants victimes peuvent être pris en charge par les services d’enquête, des médecins et des psychologues.
Autre avancée : le retrait systématique de l’autorité parentale en cas de condamnation d’un parent pour violences sexuelles incestueuses, acté depuis la promulgation du texte le 18 mars 2024.
Le reste des préconisations concernant le repérage des victimes, la prise en charge du psychotrauma ou la prévention des violences sexuelles font pour la plupart l’objet d’une expertise par une mission interministérielle, dont le rapport était attendu en mars 2024.
L’imprescriptibilité écartée
Parmi les recommandations de la Ciivise « refusé[es] » par le gouvernement figure – sans surprise – la préconisation phare de la commission : l’imprescriptibilité des violences sexuelles sur mineur·es. « Cela démontre l’incapacité du gouvernement à entendre les victimes qui vivent la prescription de leur affaire comme une injustice. Et c’est aussi méconnaître les mécanismes du psychotraumatisme, notamment l’amnésie traumatique », regrette Arnaud Gallais, membre de la première Ciivise et cofondateur de l’association Mouv’Enfants. Cette mesure ne fait cependant pas l’unanimité des spécialistes du sujet. (...)
La réforme pénale consistant à ajouter les cousins et cousines dans la définition des viols et agressions sexuelles incestueux est également rejetée. De même pour ce qui est de la préconisation visant à étendre la définition des infractions sexuelles incestueuses aux faits commis sur des « victimes devenues majeures lorsque des faits similaires ont été commis pendant leur minorité par le même agresseur ».
Cette mesure avait notamment été pensée par une spécialiste reconnue du viol, la professeure de droit pénal Audrey Darsonville (...)
À ce stade, un seul changement législatif d’envergure est envisagé : l’ordonnance de sûreté de l’enfant. Pensée en miroir de l’ordonnance de protection, créée pour les femmes victimes de violences conjugales, cette disposition permettrait au juge aux affaires familiales « de statuer en urgence sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale en cas d’inceste parental vraisemblable », explique la Ciivise dans son rapport. (...)
les coupes budgétaires annoncées pour les années à venir par le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, assombrissent encore le tableau. (...)