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Carbon Brief
Interview : Pourquoi le soutien mondial à l’action climatique est "systématiquement sous-estimé"
#urgenceclimatique
Article mis en ligne le 28 février 2024
dernière modification le 26 février 2024

Selon une nouvelle étude, l’action en faveur du climat bénéficie d’un soutien quasi universel dans le monde entier, mais les gens sous-estiment systématiquement l’engagement de leurs pairs.

Cette étude, publiée dans Nature Climate Change, se fonde sur un échantillon représentatif de près de 130 000 personnes dans 125 pays.

Elle révèle que 86 % des personnes "soutiennent les normes sociales favorables au climat" et que 89 % d’entre elles souhaiteraient que leurs gouvernements fassent davantage d’efforts pour lutter contre le réchauffement. En outre, 69 % des personnes interrogées se disent prêtes à consacrer 1 % de leurs revenus à la lutte contre le changement climatique.

Cependant, les personnes interrogées "sous-estiment systématiquement la volonté d’agir de leurs concitoyens", selon le document, ce qui crée un "fossé de perception" potentiellement difficile à combler.

Carbon Brief a interrogé les auteurs de l’étude pour en savoir plus. Les questions et leurs réponses sont reproduites intégralement ci-dessous. Une version abrégée de la transcription a d’abord été publiée dans DeBriefed, la lettre d’information hebdomadaire de Carbon Brief. Inscrivez-vous gratuitement.

Carbon Brief : Votre enquête auprès de près de 130 000 personnes dans 125 pays a révélé un soutien " presque universel " (86 %) à l’action climatique, 89 % d’entre elles souhaitant davantage de la part des gouvernements. Avez-vous été surpris ?

Peter Andre, Teodora Boneva, Felix Chopra et Armin Falk : Alors que nous nous attendions à trouver des niveaux élevés d’approbation de l’action climatique dans certains des pays que nous avons étudiés, nous avons en effet été surpris de constater que le pourcentage de la population approuvant les normes sociales pro-climat et exigeant davantage d’action politique de la part de leur gouvernement national est très élevé dans presque tous les pays de notre échantillon. Dans 119 pays sur 125, la proportion de personnes qui déclarent que les habitants de leur pays "devraient essayer de lutter contre le réchauffement climatique" dépasse les deux tiers. Dans plus de la moitié des pays de notre échantillon, la demande d’une action gouvernementale accrue dépasse même 90 %.

Nous avons probablement été induits en erreur par le même pessimisme que nous avons trouvé si répandu à travers le monde. 69 % de la population mondiale est prête à consacrer 1 % de son revenu mensuel à la lutte contre le réchauffement climatique. Une large majorité de personnes à travers le monde est prête à payer un coût personnel. En fait, dans 114 pays sur 125, une majorité de personnes interrogées est prête à lutter contre le changement climatique. Toutefois, dans 110 pays sur 125, la majorité pense qu’elle est en minorité : Lorsqu’on leur demande combien de personnes dans leur pays sont prêtes à contribuer, la plupart des personnes interrogées pensent que moins de la moitié de leurs concitoyens seraient prêts à le faire.

[La figure ci-dessous, tirée du nouveau document, montre : (en haut à gauche) la part des personnes interrogées disposées à ne pas contribuer, à contribuer à hauteur de 1 % ou à contribuer à hauteur d’au moins 1 % de leurs revenus à la lutte contre le changement climatique ; (en haut à droite) le même résultat ventilé par pays ; (au milieu) la part des personnes estimant que "les gens devraient essayer de lutter contre le réchauffement climatique" ; (en bas) la part des personnes souhaitant que les gouvernements en fassent plus]. (...)

Nous ne détectons pas de tendance temporelle claire dans nos échantillons de 2021 et 2022, mais nous ne disposons pas de données pour les mois les plus récents. Si nous devions spéculer, nous ne voudrions pas être victimes du même pessimisme une fois de plus. On pourrait s’attendre à ce qu’une grande majorité soit toujours en faveur de l’action climatique aujourd’hui, ce qui semble correspondre aux recherches les plus récentes. L’année 2023 a été confirmée comme l’année civile la plus chaude dans les relevés de températures mondiales depuis 1850. Notre étude montre qu’il existe une forte corrélation entre les températures moyennes annuelles et la proportion de personnes prêtes à soutenir l’action en faveur du climat. Nous pensons que le soutien à l’action climatique a augmenté plutôt que diminué au cours des deux dernières années.

CB : Vous avez constaté que les personnes interrogées dans les pays les plus pauvres, les plus chauds et les plus vulnérables étaient davantage disposées à apporter leur contribution. Pourquoi pensez-vous que les personnes plus riches sont moins disposées à payer leur part ?

PA, TB, FC et AF : Deux explications potentielles viennent à l’esprit. Tout d’abord, les pays riches sont encore fortement dépendants des combustibles fossiles. Les coûts d’adaptation pourraient donc être perçus comme relativement élevés et les changements de mode de vie nécessaires comme trop radicaux. D’autre part, les pays riches peuvent être plus résistants : Le PIB par habitant d’un pays reflète sa capacité économique à faire face au changement climatique. Les conséquences les plus directes et les plus immédiates seront probablement concentrées dans les pays les plus vulnérables, qui disposent de moins de ressources pour atténuer les conséquences négatives de la crise climatique. Cependant, il est important de souligner le message positif : le soutien à l’action climatique est important même dans les pays les plus riches de notre échantillon. Dans le quintile des pays les plus riches, la proportion moyenne de personnes prêtes à contribuer à hauteur de 1 % est de 62 %.

CB : Vous avez constaté que les gens sous-estiment systématiquement la volonté de leurs pairs de contribuer à l’action climatique. D’après vous, pourquoi en est-il ainsi et comment cela pourrait-il changer ?

PA, TB, FC et AF : Les raisons de cet écart de perception sont probablement multiples. Dans le passé, les médias et les débats publics ont accordé beaucoup d’attention au petit nombre de sceptiques du changement climatique et ont été la proie des efforts de groupes d’intérêts particuliers. En outre, le changement climatique est difficile à aborder. Les gens pourraient en déduire à tort que la lenteur des progrès dans la lutte contre le changement climatique est due à un manque généralisé d’engagement personnel.

Selon nous, il est plus important de combler ce déficit de perception que d’en comprendre l’origine. Les êtres humains sont (ce que les spécialistes du comportement appellent) des "coopérateurs conditionnels". Ils contribuent davantage au bien commun s’ils pensent que les autres y contribuent également. C’est pourquoi le pessimisme quant à la contribution des autres est néfaste. Il peut constituer un obstacle majeur à l’action climatique. Nous concluons donc dans l’article que "[p]lus que de faire écho aux préoccupations d’une minorité bruyante qui s’oppose à toute forme d’action climatique, nous devons communiquer efficacement sur le fait que la grande majorité des personnes dans le monde sont prêtes à agir contre le changement climatique et attendent de leur gouvernement national qu’il agisse". Nous espérons que notre étude suscitera un débat sur ce sujet et qu’elle permettra de mieux faire connaître le large soutien dont bénéficie l’action climatique à l’échelle mondiale.