
L’affaire fait grand bruit dans les milieux économiques italiens. Jeudi 29 mai, le quotidien économique Il Sole 24 Ore a calculé que, selon les projections de la Commission européenne, le PIB réel par habitant (en parité de pouvoir d’achat, c’est-à-dire lissé des effets de prix) de l’Italie devrait rejoindre celui de la France cette année. L’écart entre les deux pays était encore de 10,1 % en 2020.
Vendredi 30 mai, l’Institut national des statistiques italien, l’Istat, a de son côté confirmé qu’au premier trimestre, le PIB réel italien a augmenté de 0,3 %, un peu plus que la performance française de 0,1 %. En termes de croissance pure du PIB, l’Italie affiche depuis le 1er janvier 2019 une hausse de 6,3 %, supérieure de 2,1 points à celle de la France.
Ces faits montrent clairement un changement de paradigme par rapport aux années 2000 et 2010, quand l’Italie était la lanterne rouge de la zone euro et avait clairement décroché face à la France et à l’Allemagne.
Il n’en fallait pas davantage pour que des observateurs proclament un peu rapidement le « redressement spectaculaire » de l’Italie et placent la péninsule dans un ensemble global de « croissance du sud de l’Europe ». Le tout, évidemment, avec un arrière-plan politique. Le « succès » économique prétendu de l’Italie serait ainsi celui de Giorgia Meloni. Sa politique économique deviendrait alors le modèle de l’extrême droite européenne, comme celle de Pedro Sánchez en Espagne est devenue la référence de la gauche réformiste.
Reste à savoir quelle est la réalité de ce « redressement spectaculaire » italien. En prenant un peu de champ, on se rend compte que l’Italie est effectivement un des rares grands pays européens à connaître une tendance sur les années 2020-2025 supérieure à celle des années 2010-2020. Mais il faut immédiatement préciser trois éléments.
Une croissance pas si spectaculaire (...)
l’austérité menée par les différents gouvernements frappe la péninsule de plein fouet et conduit à un fort désinvestissement dans le pays.
L’autre élément, c’est que l’accélération italienne est très ponctuelle. (...)
Le dépassement italien du premier trimestre n’était plus la règle depuis trois ans. Autrement dit, la surperformance relative italienne ne peut tenir à la politique de Giorgia Meloni. Elle repose davantage sur la politique menée par Giuseppe Conte (2018-2021) puis Mario Draghi (2021-2022). (...)
De fait, l’accélération du PIB italien est liée principalement à ce que l’on appelle le « superbonus », un mécanisme permettant de bénéficier d’une subvention de 110 % des travaux de rénovation énergétique. Ce dispositif mis en place en mai 2020 par le gouvernement Conte a été supprimé par le gouvernement Meloni début 2023, mais il a eu logiquement un grand succès. En investissant 100 euros, on récupérait 110 euros de baisse d’impôts !
Ce superbonus a clairement été l’élément principal de soutien à la croissance italienne au moment de son accélération au sortir de la crise sanitaire. C’est ce qui a permis la surperformance du PIB italien. Les chiffres globaux sur le PIB annuel de 2019 à 2024 viennent confirmer ce fait. (...)
Depuis 2023, les investissements dans les habitations ont reculé, même si la possibilité de lisser les dépenses sur cinq ans a permis d’éviter leur effondrement. Au premier trimestre 2025, le niveau de ces investissements était inférieur de 8 % au point haut de 2023. En d’autres termes, la croissance forte de l’Italie était ponctuelle et dopée aux stéroïdes du superbonus. (...)
Enfin, il faut remettre en contexte la hausse du PIB italien. Ce n’est qu’au cours du premier trimestre 2025 que le PIB réel trimestriel a dépassé son niveau du premier trimestre 2008 de 0,7 %. Autrement dit, malgré le « redressement spectaculaire » du pays, ce dernier a connu depuis près de deux décennies une véritable stagnation de son économie.
Cela doit donc nous mener à relativiser fortement les clairons embouchés par la presse italienne et le gouvernement de Giorgia Meloni. L’économie italienne n’est pas « forte », c’est bien davantage l’économie française (comme l’économie allemande) qui est plus faible depuis 2020. Avec un élément supplémentaire : l’Italie est un pays en pleine crise démographique.
La population de la péninsule est en baisse depuis 2015, sous l’effet d’un très faible indice de fécondité (1,18 enfant par femme) et d’un vieillissement rapide. Le solde migratoire ne permet plus de compenser le solde naturel, et la population a reculé de près de 3 % en dix ans. Comme, en parallèle, la crise démographique française est moins aiguë, avec une population qui continue à augmenter de 3 % sur dix ans, l’effet sur le PIB par habitant est mécanique : il faut moins de croissance en Italie pour améliorer cet indicateur. Or, globalement depuis 2020, la France a connu une croissance plus faible avec une population qui augmente, l’Italie une croissance plus forte avec une population qui baisse. (...)
Désindustrialisation et salaires en berne
Il n’y a donc pas de « miracle économique » italien. Tout juste une forme de retour à la normale après deux décennies perdues. Mais, là encore, il faut se méfier des grands agrégats. Car les fondamentaux de l’économie italienne sont loin d’être réjouissants et signalent bien plutôt un affaiblissement structurel.
Le premier élément à souligner, c’est l’affaiblissement du tissu industriel italien. (...)
L’Italie tend donc à se désindustrialiser. (...)
C’est en grande partie la perte de marchés internationaux qui explique ce fait. Certes, l’Italie affiche toujours un excédent commercial élevé qui, en 2024, a progressé de 20 milliards d’euros à 54,9 milliards d’euros. Mais ce chiffre fait en partie illusion et s’explique notamment par la baisse des importations, elle-même due, on le verra, à la faiblesse de la consommation. Les exportations, elles, ont reculé de 0,4 %. (...)
L’industrie italienne n’est donc pas au mieux. Mais que dire des ménages ? La consommation reste à l’arrêt depuis la crise sanitaire. Entre 2019 et 2024, elle n’a progressé que de 0,4 %, avec une nette baisse des dépenses alimentaires (− 3,4 %), d’habillement (− 9,2 %) ou de restauration (− 4,6 %). La consommation se concentre sur la santé (+ 5,9 %) et l’acquisition de matériels et de services informatiques. Mais ces dépenses compensent tout juste la perte liée aux restrictions des autres postes. (...)
L’industrie italienne n’est donc pas au mieux. Mais que dire des ménages ? La consommation reste à l’arrêt depuis la crise sanitaire. Entre 2019 et 2024, elle n’a progressé que de 0,4 %, avec une nette baisse des dépenses alimentaires (− 3,4 %), d’habillement (− 9,2 %) ou de restauration (− 4,6 %). La consommation se concentre sur la santé (+ 5,9 %) et l’acquisition de matériels et de services informatiques. Mais ces dépenses compensent tout juste la perte liée aux restrictions des autres postes. (...)
la croissance italienne devant laquelle les économistes s’extasient n’a pas profité au monde du travail ni aux ménages. Comme les revenus globaux entre 2019 et 2024 ont augmenté de 2 % en termes réels, selon l’Istat, la déformation de la répartition des richesses créées s’est faite au désavantage des travailleurs. L’Organisation internationale du travail le confirme (...)
Le pays reste sous pression des marchés et du FMI (...)
On comprend alors mieux le schéma de ces dernières années : la croissance a été dopée artificiellement par le superbonus, entre 2020 et 2023, mais ses fondamentaux restent très faibles : l’industrie est en déclin, les gains de productivité à l’arrêt et les revenus des ménages en berne. Et ces trois éléments s’auto-entretiennent : la tertiarisation de l’économie pèse sur la productivité et donc sur les salaires. (...)
Il n’y a dès lors pas de « miracle » ni de « redressement spectaculaire » de l’économie italienne. Et la croissance est encore moins imputable au gouvernement de Giorgia Meloni, qui n’a engagé que des réformes antisociales, comme la réduction du revenu de citoyenneté, mais n’a réalisé aucune mesure économique de grande ampleur. Le gouvernement italien se contente de surfer sur des agrégats soigneusement choisis, comme le PIB par habitant.
Désormais, l’économie italienne est sur la brèche. La croissance s’épuise. (...)
Le gouvernement doit par conséquent réduire les dépenses pour compenser l’important service de la dette du pays. Cette politique vient peser comme un poids permanent sur l’activité. Le ralentissement de l’activité des deux dernières années s’explique aussi par la réduction du déficit public, c’est-à-dire, dans le cas italien, par l’accroissement de l’excédent primaire.
Mais le 29 mai, le FMI a prévenu. Si l’Italie entend dépenser davantage pour son réarmement, elle devra faire des coupes drastiques dans ses dépenses sociales, avec une nouvelle réforme des retraites et des « réformes structurelles ». Le récit de la croissance ne permet pas à l’Italie de sortir de l’ornière.