
Il y a quinze jours, mes propos sur la colonisation algérienne ont créé le débat. La direction de la radio m’a dit avoir enregistré de nombreuses protestations de la part des auditeurs. Pour faire droit à l’émotion suscitée, il m’a été demandé de ne pas me présenter la semaine suivante, en m’indiquant que je serai le bienvenu, ensuite, pour continuer à défendre mes points de vue sur l’antenne.
J’ai compris et admis la démarche des dirigeants de RTL. Je l’ai trouvé équilibrée et respectueuse à mon égard. Et puis, le jour de suspension est arrivé. C’était mercredi dernier. À partir de là, concrètement confronté à ce qu’il faut bien appeler une punition, ma perception de la situation s’est modifiée.
Même décidée dans le cadre d’un dialogue serein et compréhensif, une punition reste une punition. Si je reviens sur l’antenne de RTL, je la valide, donc je reconnais avoir fait une faute. C’est un pas que je ne peux pas franchir.
J’attache un prix particulier à la question de la présence française en Algérie entre 1830 et 1962. Je ne suis pas concerné personnellement. Ni mon père, ni mes oncles, ni d’autres membres de ma famille n’ont participé à la guerre d’Algérie. Je n’ai pas non plus de connexions ou de liens avec des Français rapatriés de ce pays. J’ai découvert cette histoire de manière banale. Je me suis intéressé, voilà déjà longtemps, aux conditions du retour au pouvoir du général de Gaulle, en mai 1958. La question du maintien de l’Algérie dans la France était au cœur de la crise politique. Je me suis alors demandé ce qu’était cette situation, quelle était la nature de la présence française et aussi celle de la cohabitation des communautés sur ce territoire.
Ce que j’ai lu dans les livres écrits par des historiens méticuleux m’a horrifié. Les massacres de musulmans se sont succédés tout au long des 132 ans d’occupation. Un statut dit d’indigénat, appliqué à partir de 1881, a privé les premiers occupants de l’espace de tous droits et leur a imposé des servitudes archaïques et injustes. Chassés des terres les plus riches, ils ont végété dans l’extrême pauvreté. La scolarisation des enfants a été parcimonieuse. Tout ceci dresse un tableau indigne de la France au regard des valeurs d’humanité qui font sa réputation dans le monde.
J’ai vécu comme une injustice maintenue l’absence de reconnaissance officielle par le colonisateur des traitements dégradants infligés à cette population. Les propos que je tiens sur ce sujet depuis des années sont liés à ce sentiment. Pour cette raison, et pour cette raison seulement, je ne peux pas accepter d’être puni pour les avoir répétés.
Je regrette la situation qui s’est créée. J’ai passé de belles années professionnelles à RTL. C’est une radio que j’aime. Mais c’est ainsi.
Une précision pour terminer, parce que j’ai vu à l’œuvre durant ces derniers jours ces faux nationalistes qu’effarouchent les vérités de l’histoire. Le pouvoir algérien d’aujourd’hui est une dictature. Il l’est depuis 1962. Le peuple algérien mérite, comme tous les peuples, la liberté et la justice. Il en est, hélas, privé depuis trop longtemps. Par ailleurs, je m’associe, comme je l’ai fait depuis le début, aux demandes de libération de Boualem Sansal, injustement emprisonné à Alger.
Un jour, c’est mon espoir, la France, mon pays, conviendra de sa part d’inhumanité dans l’histoire.
Etonnant, non ?
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– (Mediapart)
Jean-Michel Aphatie : « La culture de la négation de l’histoire domine dans les médias »
Après sa mise en retrait d’une semaine pour des propos sur l’histoire coloniale en Algérie, Jean-Michel Aphatie a annoncé qu’il ne retournerait pas sur RTL. Le journaliste voit dans son cas personnel l’illustration du triomphe du révisionnisme historique dans le discours médiatique et politique. (...)
le journaliste a tenté d’expliquer les tensions persistantes entre les deux pays, invoquant les massacres d’Algériens « jamais reconnus » par la France pendant la phase de conquête à partir de 1830. Il a ensuite estimé que les relations seraient peut-être différentes « si la France présentait des excuses pour cent trente ans de massacres, de meurtres, de paupérisation d’un peuple, d’une violence incroyable… cent trente ans d’occupation ».
De vives réactions de la droite et de l’extrême droite
« Chaque année, en France, on commémore ce qui s’est passé à Oradour-sur-Glane, c’est-à-dire le massacre de tout un village. Mais on en a fait des centaines, nous, en Algérie. Est-ce qu’on en a conscience ? », finit-il par ajouter. Le 10 juin 1944, ce bourg du Limousin est décimé par une partie de la division Waffen SS Das Reich. « On n’a pas fait Oradour-sur-Glane en Algérie », a très vite rétorqué Thomas Sotto, le présentateur de la matinale de RTL, tous les matins au côté d’Amandine Bégot. Mais « on s’est comportés comme des nazis ? », a-t-il interrogé. « Les nazis se sont comportés comme nous », lui a alors répondu Jean-Michel Aphatie. (...)
Pour appuyer son propos, il cite entre autres les déclarations récentes de Marine Le Pen, qui déclarait dans un entretien sur LCI fin janvier que « venir dire que la colonisation était un drame, ce n’est pas vrai », énumérant « les infrastructures » et « le capital » apportés par la France en Algérie et qui, selon la députée d’extrême droite, « auraient dû lui permettre de se développer et de devenir la Norvège du Maghreb ».
« Il est là le problème : l’opinion publique ne peut pas évoluer sur cette question si les dirigeants importants de ce pays ne l’évoquent jamais, ou, quand ils l’évoquent, le font de manière aussi scandaleuse », déplore Jean-Michel Aphatie.
Ne ratant d’ailleurs jamais une occasion d’instrumentaliser à des fins électoralistes les mémoires vives de la colonisation de l’Algérie, des élu·es de droite et d’extrême droite en ont profité pour jeter du sel sur les plaies, à l’instar du président du RN, Jordan Bardella, qui fustige « une odieuse falsification de l’Histoire et une insulte à tous les rapatriés d’Algérie », ou son allié Éric Ciotti, pour qui « Jean-Michel Aphatie a endossé le rôle d’un prédicateur algérien ».
Loin de prendre le parti des faits face au révisionnisme historique d’une partie de la droite et de l’extrême droite française et alors que nombre d’historien·nes (comme dans cette tribune) ont depuis donné raison à Jean-Michel Aphatie, RTL a justifié la mise à l’écart de son éditorialiste. (...)
Deux poids deux mesures
Il n’est pas inutile de rappeler que RTL accueillait régulièrement sur son antenne Éric Zemmour comme chroniqueur politique entre 2010 et 2018. En dépit des nombreuses condamnations pour provocation à la haine raciale et de l’opposition farouche de la rédaction, la direction de RTL avait continuellement soutenu le polémiste. La radio avait d’ailleurs reçu, à deux reprises, des mises en garde du régulateur des médias pour des propos tenus par le patron du parti d’extrême droite Reconquête.
« J’ai toujours pensé qu’il y avait un deux poids deux mesures, observe Jean-Michel Aphatie. Dieudonné et Alain Soral, ce sont des antisémites, et ils ont été légitimement écartés de l’antenne pour cela. Quelqu’un comme Éric Zemmour, qui a été condamné par la justice française pour incitation à la haine, à la haine raciale ou à la haine religieuse, a au contraire trouvé des promotions dans les médias. »
Selon le journaliste, qui officie également dans l’émission « Quotidien » sur TMC, l’impossibilité d’aborder sereinement le sujet de la colonisation en Algérie tient en partie son origine dans « des peurs très anciennes ». « La peur de l’islam, la peur des Arabes, mais aussi le regret, la nostalgie de l’époque où la France était grande et forte, tout cela est refoulé et se réactive à travers l’actualité », analyse Jean-Michel Aphatie. (...)