Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Mediapart
Jean-Luc Mélenchon : « Nous ne sommes plus sur la défensive, ce pays est à nous tous »
#LFI #Melenchon #extremedroite
Article mis en ligne le 4 novembre 2025
dernière modification le 3 novembre 2025

Budget, relations avec le Parti socialiste, « dégagisme » qui frappe toute autorité, hégémonie des thèmes de l’extrême droite dans le « bloc bourgeois »… Pour Mediapart, le fondateur de La France insoumise analyse la décomposition politique du pays et en appelle à une présidentielle anticipée.

Quand nous le rencontrons jeudi 30 octobre au siège de La France insoumise (LFI), Jean-Luc Mélenchon accuse le coup. Pour la première fois de son histoire, le parti de Marine Le Pen a fait adopter le matin même un de ses textes à l’Assemblée nationale, avec les voix de la droite traditionnelle : une proposition de résolution pour dénoncer l’accord de 1968 avec l’Algérie.

Malgré la conjoncture, la bascule du débat public vers l’extrême droite et la fracturation de la gauche, le triple candidat à la présidentielle croit toutefois en la possibilité d’une refondation politique. Pour mettre fin au « chaos Macron », il plaide toujours pour une présidentielle anticipée : « C’est une course de vitesse pour nous face au Rassemblement national. Mais je suis optimiste. »

Face au moment qu’il définit comme « dégagiste », le leader de LFI estime que les Insoumis ont « gagné la confiance populaire » en maintenant leur stratégie, malgré les attaques. (...)

Mediapart : Quelle lecture faites-vous du vote de la résolution du Rassemblement national (RN) dénonçant l’accord France-Algérie de 1968, grâce à ses alliés actifs de droite et tacites du centre ?

Jean-Luc Mélenchon : Ses auteurs m’inspirent un profond dégoût. Pour la France, le lien avec le Maghreb est un lien familial et culturel. La guerre sans fin avec l’Algérie est aussi une déchirure de notre peuple. Quelle tristesse ! Le racisme que tout cela contient, c’est avant tout une stratégie organisée pour diviser notre peuple. Il s’agit d’empêcher une majorité sociologique de devenir une majorité politique en « essentialisant » sa diversité.

Le vote montre combien la droite traditionnelle est assujettie au RN. (...)

La droite traditionnelle espère sauver comme ça les débris de ses appareils politiques. Mais comme le bloc libéral s’effondre, le RN a les mains libres. Son objectif n’est pas d’unir les droites, mais de les absorber.

Comment lutter contre ce mouvement ?

En étant plus puissants qu’eux donc en menant la bataille, en ne reculant jamais, en essayant sans arrêt d’impliquer le plus grand nombre par l’éducation populaire. Les Insoumis ne sont pas une avant-garde révolutionnaire, mais un mouvement d’éducation populaire politique. Il faut éduquer tout le temps, par l’exemple, le discours, la lutte. Être englobants, insoumis, positifs.

Jeudi, à l’Assemblée, toute la gauche a été qualifiée de « parti de l’étranger », « parti de l’Algérie ». D’ordinaire, c’est LFI qui a droit à ce genre de qualificatifs… Comment réagissez-vous ?

J’ai du mal à en parler parce que je ne veux pas donner prise à l’idée de régler des comptes personnels. Mais c’est odieux. On l’a déjà vu au moment des révoltes urbaines. On m’a reproché à grands cris de ne pas appeler au calme. Les Insoumis appelaient à la justice. Sinon ? Le calme dans l’injustice ?

Pour beaucoup, la parole des Insoumis a une autorité morale. Donc elle est attendue par des milliers de jeunes esprits. À eux et aux autres, LFI montre la sortie par le haut de la situation de violence : la justice et l’abrogation de la loi « permis de tuer ». On refuse le rôle de chien de garde de la bonne société qui a peur du peuple. (...)

Droite et extrême droite avaient intérêt à déplacer la ligne de démarcation républicaine entre la gauche traditionnelle et nous, les Insoumis, pour pouvoir faire sa jonction avec le RN. Tout est devenu plus difficile. Non seulement nous devons porter le programme pour convaincre les gens, mais aussi réparer la démoralisation due aux tactiques honteuses de nos ex-partenaires et à leur dénigrements.

Pour gagner ceux qui ne votaient plus, il faut mériter la confiance populaire au contact du terrain. Nous faisons largement notre part. Les autres passent leur temps à des intrigues politiciennes. Ils ne respectent ni le programme signé ni les accords électoraux.

Et voici Carole Delga [la présidente socialiste du conseil régional d’Occitanie – ndlr] dans une partielle [une législative organisée en septembre dans la 5ᵉ circonscription des Français de l’étranger – ndlr] refusant même le vote de deuxième tour à gauche si c’est LFI ! Que faut-il faire pour leur plaire ? Déchirer le programme ? Dire que la police ne tue pas ? Proposer des coupes budgétaires comme eux et des combines avec Macron ?

Mais la gauche peut-elle l’emporter aux prochaines échéances électorales si elle est désunie ?

Ce sera plus difficile, sans aucun doute. Mais seule l’union sur un programme de rupture écologique et sociale peut gagner ! À preuve, notre score de 2022, notre victoire de 2024 et tous les exemples à l’étranger. Nous avons fait une offre de fédération. Nous sommes des partenaires exigeants mais loyaux et constants. Certes, l’ancienne gauche rejette le programme partagé après avoir bien profité des candidatures communes. Mais on fera avec ceux qui veulent tenir parole. (...)

La réalité, c’est la tripartition du champ politique. Pour gagner, nous avons besoin de plus d’un million de voix supplémentaires dans la jeunesse et les quartiers populaires abstentionnistes. Là se trouvent plusieurs millions de désorientés et de dégoûtés contre la caste politico-médiatique. Un dégagisme croissant les anime et il s’agit d’en faire une force politique positive tournée vers un nouvel idéal écologique et social : la VIe République.

Nous avons gagné du terrain. Nous sommes sérieux, constants, disciplinés, nos élus sont bosseurs, nous ne sommes pas dévorés par la lutte des ego. Dans les moments difficiles, sous les coups les plus durs, les menaces de mort, les insultes, tous les médias contre nous, nos alliés nous abandonnant, nous avons tenu bon. Alors les Insoumis ont gagné la confiance populaire.

Pensez-vous que le précédent des législatives partielles divisées et sans report de vos alliés à gauche est appelé à se reproduire ?

Nous verrons bien. Il est possible que les socialistes fassent ce choix. À Paris et dans d’autres villes, ils ne veulent d’Insoumis ni au premier ni au deuxième tour. (...)

Les quartiers populaires se sont mobilisés pour vous en 2022, puis en faveur du Nouveau Front populaire (NFP) en 2024. Pensez-vous qu’ils vont à nouveau faire cet effort alors que le résultat du vote de 2024 a été méprisé ?

Oui, je le pense. Mais commençons par dire que c’est notre vocation de représenter les milieux populaires. On nous accuse de clientélisme, mais alors les mouvements socialiste et communiste ont fait du clientélisme depuis un siècle ! Oui, nous voulons représenter les prolétaires, les ubérisés, les filles qui ont fait des études et sont méprisées, les garçons qui sont paumés et veulent s’en sortir. C’est le peuple français. Mais ce n’est pas seulement celui du passé. La nouvelle France y est en nombre. (...)

Voilà le peuple français, le peuple républicain. J’ai fait toute la campagne ensuite de 2024 sur ce thème, la « nouvelle France », partout où je suis passé. « Quand je suis né, une personne sur dix avait un grand-parent étranger. C’est un sur trois aujourd’hui », et j’ai commencé à dire : « Nous sommes la nouvelle France. »

La nouvelle France, c’est sa composition sociale, c’est son nombre, c’est le fait qu’elle est massivement instruite, connectée et urbanisée, même en milieu rural… Positive, tournée vers le futur. Un autre récit est possible. On ne demande plus la faveur d’être acceptés. On s’approprie nos droits.

Ici arrive aussi la question féministe. C’est en quelque sorte une bombe dans la bombe. Nous en sommes à la première ou deuxième génération de femmes qui pensent en dehors des concepts qui étaient majoritaires avant des libertés aussi importantes que l’accès à la contraception, à l’IVG, et toutes les questions qui faisaient d’une aptitude biologique un destin social. Au total, ce n’est plus seulement une question de refus des discriminations. C’est une appropriation du futur.

Le concept de nouvelle France est une façon de dire : nous ne sommes plus sur la défensive, ce pays est à nous tous. C’est donc aussi la bataille contre le sexisme et le retour du virilisme. Et contre le racisme. C’est un changement complet de la matrice. La phase où nous étions au fond de la tranchée est terminée, cette fois-ci, c’est nous qui sommes à l’offensive. Et ça englobe le déploiement de la France des nouvelles frontières : mer, espace, numérique et culture. (...)

Tout ce qui constitue l’ordre établi est mis en cause. Tout et dans tous les sens. D’où l’importance d’ouvrir une issue politique globale positive. Un processus très profond travaille la société partout depuis des années. La France est dans la phase du dégagisme ouvert, inaugurée par les Gilets jaunes. Réponse ? Macron organise un débat public, puis en met le rapport aux archives ! Rien de plus ! (...)

Depuis, le Gilet jaune est un fantôme qui hante la société politique française. Le dégagisme sans réponse frappe Emmanuel Macron lui-même à son tour. Notre succès en est une autre expression. LFI, qui travaille à faire partir Macron, a plus de monde dans ses rangs que jamais : il y a plus de 110 000 inscrits dans un groupe d’action et plus de 450 000 dans la liste de soutiens.

C’est votre interprétation des discours entendus ces dernières semaines ?

C’était un tel flot contradictoire ! Voilà pourquoi je me suis mis en retrait sur Sarkozy. J’avais expliqué, au moment de la condamnation de Marine Le Pen, qu’une justice sans appel n’est plus une justice. Aussitôt, on a dit que je m’entendais avec elle ! Mais j’avais tort en partie. Car il y a des cas où l’exécution provisoire est une nécessité absolue, quand un prévenu met les autres en danger.

Mais je n’ai pas aimé non plus l’ambiance d’hallali des dernières semaines. Pour moi, la justice n’est pas la vengeance. Et d’un autre côté, je n’ai pas non plus aimé les discours des autres en mode : « La prison, ce n’est pas pour nous. »

Dans toute cette période, personne ne s’est interrogé sur le rôle de la prison. Ugo Bernalicis et Danièle Obono ont décidé de se rendre à la Santé pour parler des 190 % d’occupation. Ce régime est barbare, il ne règle rien, pour personne. Mais on le leur a reproché ! (...)

La France est victime d’une méthode absurde : la financiarisation de la dette des États et des agences de notation rendues juges des nations. Depuis, la peur de la dette fournit un argument d’affolement. Or, la dette n’est une catastrophe que si on aggrave la situation par des coupes budgétaires. Car alors on tue la croissance, et donc les recettes fiscales pour le budget suivant. Et son déficit est mécaniquement accru.

Nous pensons qu’il faut augmenter les recettes car la priorité, c’est que le pays puisse investir. S’il dépense, la machine se relancera. Avec plus de production, il y aura plus de recettes fiscales et donc moins de déficit. Avec notre méthode, et nos recettes nouvelles, on gagne deux points de PIB en 2026, on réduit le déficit de 27 milliards et on baisse le chômage d’un point. (...)

il faut planifier et agir vite. En un an, on peut remettre d’aplomb les comptes de la Sécurité sociale, qui est le cœur de notre contre-modèle. Et révolutionner par extension bien d’autres sujets.

Actuellement, les économies envisagées dans le domaine de la santé se limitent à des coupes budgétaires. Personne n’annonce de lutte pour combattre l’épidémie de diabète, les maladies cardiovasculaires, le nombre de morts au travail – deux par jour –, la flambée des cancers, les nitrites dans l’alimentation… et par ce biais, de faire des économies. Car ces malheurs évitables coûtent des milliards.

Le début du changement de régime économique, c’est la fin du système de la maltraitance écologique et sociale des populations. Il faut changer de paradigme. Notre ligne d’action, c’est la relance écologique et sociale, la politique du carnet de commandes plein et de la visibilité économique planifiée.

La taxe Zucman, dont le PS avait fait un « casus belli », a été rejetée vendredi par l’Assemblée…

Le sursis accordé par le PS à Sébastien Lecornu au prix de la fracturation de la gauche tourne une fois de plus au ridicule du PS, et permet encore le sauvetage de Macron. Il a révélé l’extrême amateurisme du PS dans la négociation sur les sujets techniques les plus élémentaires.

La taxe Zucman, la suspension de la réforme des retraites, le prétendu impôt sur la fortune, tout a tourné à la farce. Seule une élection présidentielle anticipée ramènera la dignité du débat, le sérieux des choix et permettra une refondation politique du pays. Comment imaginer prolonger encore deux ans cette agonie politique ? (...)

Macron a détourné une directive européenne pour assimiler les découverts bancaires à des crédits à la consommation. Cela n’a rien à voir. Onze millions de Français seront pris à la gorge chaque mois. Clémence Guetté lance une pétition officielle sur le site de l’Assemblée pour obtenir l’abrogation.

Le système redoute une nouvelle crise des subprimes. La dette privée est plus importante et dangereuse que la dette publique. Le risque d’effondrement revient, comme en 2008. La crise était partie du divorce d’un Américain qui ne pouvait plus payer la traite de sa maison. Aujourd’hui, entre les cryptomonnaies, la bulle financière sur l’IA, l’explosion des cours boursiers sans aucun rapport avec l’activité réelle, et la titrisation des dettes des entreprises, nous nous dirigeons vers une explosion pire que celle de 2008.

À 17 000 kilomètres de Paris, en Kanaky-Nouvelle-Calédonie, une autre mobilisation se réveille pour contrer les nouvelles tentatives de passage en force sur ce dossier. Un nouveau soulèvement est-il possible ?

C’est presque une certitude. Les conditions économiques, culturelles et sociales sont pires qu’en 2024. Face à des personnes qui n’ont plus aucune perspective, aucun espoir, autour de qui tout est détruit, l’État français répond : « On ne reconstruira pas tant que vous ne vous tenez pas tranquille. » C’est la vieille logique coloniale. La paix d’abord et ensuite, nous verrons pour les droits. Ça n’a jamais marché. (...)

Emmanuel Macron, avec une désinvolture active, met le feu à tous les endroits délicats dont la plupart des hommes d’État veulent éviter qu’ils s’embrasent en même temps. Nous allons avoir une crise nationale, à partir de la Kanaky, de la Corse et des Caraïbes. Avec ça, une crise sociale et sanitaire avec la dévastation de la Sécurité sociale, et une crise économique, vu l’état dans lequel Macron a mis le pays.

Tout cela fusionne en un processus unique dans lequel des masses de gens deviennent dégagistes faute de confiance envers toute autorité. C’est une course de vitesse pour nous face au RN. Mais je suis optimiste. Car même les dominants du pays comprennent que tout ça va trop loin et que ce n’est pas La France insoumise qui est responsable de « la bordélisation », au contraire. On a dit que j’étais l’ingénieur du chaos, juste parce que nous appliquons une stratégie qui se traduit par des victoires électorales et parlementaires. C’est Macron le chaos. Qui d’autre en Europe a refusé de reconnaître le résultat d’élections législatives ? (...)

il faut vite mettre cet homme hors d’état de nuire, car il va tout détruire dans la pagaille. Tout le monde voit qu’il fait n’importe quoi au service des ultrariches. Mieux vaudrait que le changement de République se fasse dans la paix civile et par un processus démocratique.