En 2016, la lutte des nations Dakota, Nakota et Lakota, dans la réserve autochtone de Standing Rock au nord des États-Unis, contre un projet d’oléoduc, le Dakota Access Pipeline (DAPL), avait attiré des milliers de militant·es et marqué un point d’orgue des mouvements pour la justice environnementale. Les images des campements anti-DAPL, avec leurs tipis et drapeaux américains retournés, face aux canons à eau et gaz lacrymogènes des militaires, avaient fait le tour du monde.
Neuf ans plus tard, mercredi 19 mars, un tribunal du Dakota du Nord a condamné l’ONG Greenpeace à verser 665 millions de dollars (environ 613 millions d’euros) de dommages et intérêts à la compagnie pétrolière Energy Transfer pour son rôle dans la mobilisation. Cette décision résonne comme un coup de tonnerre. « C’est une situation exceptionnelle, jamais nous n’avions eu une telle condamnation, à une telle échelle », reconnaît Kristin Casper, juriste de Greenpeace International.
Dans le cadre d’une procédure civile, la compagnie Energy Transfer, spécialisée dans les infrastructures énergétiques, a attaqué trois entités de l’ONG : sa branche américaine, celle dédiée à la levée de fonds et sa structure internationale. Elle les accuse d’avoir organisé des formations pour les manifestant·es et de leur avoir fourni des camions équipés de panneaux solaires pouvant produire de l’électricité, ainsi que d’autres soutiens matériels et financiers. Le montant astronomique de la condamnation financière correspond aux dommages compensatoires réclamés par l’industriel – autour de 340 millions de dollars (313 millions d’euros) –, auxquels le tribunal a ajouté une amende punitive. (...)
La branche américaine de l’ONG a aussitôt fait savoir que son avenir était compromis, au vu du niveau de la somme demandée, si elle est confirmée – elle annonce vouloir faire appel. Le jugement n’avait pas encore été publié vendredi 21 mars.
L’entité internationale de Greenpeace, basée aux Pays-Bas, est également condamnée, mais espère échapper à l’exécution de la décision : elle a de son côté attaqué en justice Energy Transfer au nom de la directive européenne contre les procédures-bâillons (Slapp). Une audience est prévue en juillet à Amsterdam. Sur le fond, elle conteste sa condamnation et assure que son seul appui à la mobilisation contre l’oléoduc a été la signature d’une lettre ouverte soutenue par 500 organisations demandant aux banques de renoncer à financer le pipeline.
Faire taire les voix autochtones (...)
Selon un groupe de juristes venus observer le déroulement du procès, ces jurés ont montré « un biais évident » en faveur d’Energy Transfer : « Beaucoup d’entre eux travaillent dans l’industrie des énergies fossiles. » De plus, ils reprochent au juge « de manquer de l’expérience et de l’expertise nécessaires pour prendre la bonne décision » concernant l’application du premier amendement de la Constitution américaine, qui consacre la liberté d’expression. (...)
Pour Rebecca Brown, présidente du Center for International Environmental Law (Ciel), « cette procédure est un exemple parfait de l’instrumentalisation du système judiciaire par les entreprises pour réduire au silence les militants et intimider les gens ». L’avocate estime que ce type de stratégie doit être compris comme « une menace directe contre la justice environnementale et les libertés démocratiques ».
L’Indigenous Environmental Network (IEN), une coalition de collectifs issus de peuples autochtones, considère que la condamnation de Greenpeace est une façon d’« intimider et de faire taire les activistes autochtones ». Tom Goldtooth, militant de longue date et figure de proue des mouvements pour la justice climatique, voit un lien entre la partialité du jury et « une région connue pour son conservatisme, son racisme et son opposition aux traités régissant les terres indiennes ». (...)
Pour Rebecca Brown, présidente du Center for International Environmental Law (Ciel), « cette procédure est un exemple parfait de l’instrumentalisation du système judiciaire par les entreprises pour réduire au silence les militants et intimider les gens ». L’avocate estime que ce type de stratégie doit être compris comme « une menace directe contre la justice environnementale et les libertés démocratiques ».
L’Indigenous Environmental Network (IEN), une coalition de collectifs issus de peuples autochtones, considère que la condamnation de Greenpeace est une façon d’« intimider et de faire taire les activistes autochtones ». Tom Goldtooth, militant de longue date et figure de proue des mouvements pour la justice climatique, voit un lien entre la partialité du jury et « une région connue pour son conservatisme, son racisme et son opposition aux traités régissant les terres indiennes ». (...)
L’ombre de la Maison-Blanche
En 2016 et 2017, la mobilisation de Standing Rock contre le DAPL avait attiré l’attention et le soutien de nombreux activistes à travers le monde, en raison de l’infrastructure contestée et de sa dimension symbolique : un oléoduc de près de 2 000 kilomètres devant traverser le territoire de la tribu appelée « Sioux » par les anciens colonisateurs, menaçant ses ressources en eau et des terres considérées comme sacrées.
L’opposition au pipeline avait généré des affrontements avec les forces de l’ordre, et des centaines de personnes avaient été arrêtées. Suspendu par Barack Obama, le DAPL avait été autorisé par Donald Trump lors de son premier mandat. Il fonctionne depuis 2017 et fait aujourd’hui l’objet d’une demande d’extension par son opérateur. (...)
Le patron de la compagnie pétrolière a témoigné dans un message vidéo présenté au tribunal : « Nous devons nous défendre » contre « le récit totalement mensonger » créé par les activistes.
À l’inverse, et le souvenir en semble aujourd’hui ironique, deux membres de l’exécutif de Trump étaient venus soutenir les opposant·es à l’oléoduc : le ministre de la santé, Robert F. Kennedy Jr., et sa conseillère à la sécurité nationale, Tulsi Gabbard (une ancienne élue démocrate).
« Clairement, il y a un backlash [retour de bâton – ndlr] » contre les mobilisations écologistes, analyse Edina Ifticène, responsable de la campagne énergies fossiles et climat chez Greenpeace France. TotalEnergies a été débouté en 2024 de sa procédure contre l’ONG pour diffusion d’informations fausses et trompeuses sur son bilan carbone. En Italie, Greenpeace a aussi été attaqué par Eni et au Royaume-Uni par Shell. Entre 2010 et 2023, 1 049 poursuites-bâillons ont été lancées en Europe, selon la coalition d’associations contre les Slapp, dont 166 pour la seule année 2023.