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l’Humanité/
Kohei Saito, philosophe : « Le communisme de décroissance est l’alternative »
#décroissance #alternatives
Article mis en ligne le 13 novembre 2024
dernière modification le 11 novembre 2024

Le philosophe marxiste japonais propose d’entrer dans « une nouvelle ère de bifurcation », garantissant de sauver notre planète, en respectant la nature et les humains. Son ouvrage est un succès d’édition mondial.

Outre la crise économique, sociale, politique et démocratique, le monde connaît une crise environnementale mettant en péril sa survie. Dans son ouvrage Moins ! La décroissance est une philosophie, le philosophe japonais Kohei Saito, l’un des plus importants penseurs marxistes de notre époque, y voit une sentence terrible à propos de la croissance infinie : il faut en sortir. Selon lui, le capitalisme est incapable de réaliser ce changement fondamental.

C’est un fait : la crise environnementale est engendrée par la production et la consommation excessives. La réponse évidente à la crise climatique est donc que nous devons réduire certains excès comme les grosses voitures ou les jets privés.

C’est une évidence, mais le capitalisme ne peut pas accepter une telle réduction parce que c’est antinomique avec la logique de la croissance infinie. Au lieu de cela, il s’agirait de produire vert, de fabriquer des véhicules électriques, etc. Mais cela ne fonctionne pas. Toutes ces technologies vertes ne suffisent pas à réduire massivement les émissions de dioxyde de carbone et les autres impacts écologiques.

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Seules les solutions s’inscrivant dans le capitalisme sont envisageables : taxer les émissions de dioxyde de carbone, fixer le prix du carbone ou encore investir davantage dans les énergies renouvelables. Mais ces réponses ne suffisent pas. Nous avons besoin d’un changement beaucoup plus fondamental réorganisant vraiment le système économique. Aujourd’hui, il est axé sur l’accumulation de toujours plus de profits, sur la croissance.

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Il existe une contradiction fondamentale entre ce que le capitalisme veut faire et ce que nous devons faire. À cause de ce fossé, l’élite ou la classe dirigeante tente d’imposer des politiques qui ne sont pas efficaces pour résoudre la crise climatique.

Le vrai problème n’est pas la production, mais le système capitaliste lui-même, qui ne garantit pas une croissance et une accumulation constantes. Nous devons inventer un type d’économie et de société pour lutter contre le changement climatique.

Le point de non-retour a-t-il été atteint ?

C’est désolant mais nous sommes déjà au point de non-retour en matière climatique. De nombreux scientifiques affirment qu’une hausse de 1,5 °C de la température mondiale est très dangereuse. Si vous regardez les douze derniers mois, la hausse est supérieure à 1,5 °C. Nous assistons à différentes catastrophes « naturelles »

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Cela engendre des réfugiés et des affrontements pour les ressources.

Si nous continuons à appliquer le système actuel, il y aura encore plus de conflits, plus de concurrence et plus d’inégalités entre les hommes et les femmes. La coopération mondiale deviendra de plus en plus difficile. J’appelle cela un fascisme climatique. Seules les personnes qui ont le plus de pouvoir et d’argent peuvent contrôler les autres et les dominer. Ce type de société ne garantit aucune liberté.

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Remettre en question le capitalisme de manière plus fondamentale, c’est rompre avec cette logique de croissance infinie et d’accumulation de capital, de réalisation de profits. C’est ce que j’appelle la décroissance. Nous devons abandonner le PIB comme mesure du progrès des sociétés.

Si vous faites la guerre et augmentez les dépenses militaires, le PIB augmente. Si vous privatisez les soins médicaux, cela augmente le PIB. Les États-Unis sont le pays le plus riche parce qu’il privatise l’éducation, les soins médicaux et a des dépenses militaires énormes. Rien ne contribue vraiment à la vie des gens. Le PIB est inconséquent. La croissance doit distinguer ce qui est nécessaire de ce qui est inutile.

Le capitalisme ne parvient pas à faire cette distinction car il se concentre sur ce qui est rentable.

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C’est pourquoi je défends le concept de biens communs comme étant les choses communes fondamentalement gratuites et accessibles à tous. La société basée sur les marchandises, l’argent et le capital est le capitalisme, alors la société basée sur les biens communs est le communisme. Le communisme de décroissance constitue l’alternative.

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de nombreux écologistes ont critiqué les analyses de Marx pour avoir ignoré les limites de l’environnement. En réalité, de nombreux carnets et manuscrits non parus pendant de nombreuses années sont maintenant publiés dans les nouvelles œuvres complètes de Marx et Engels.

Je suis d’ailleurs l’un des éditeurs de ces textes. Dans ses écrits, en particulier les notes tardives, Marx accordait une attention toute particulière à la question de la crise écologique. Pour lui, l’Homme et la nature ont une relation métabolique, mais le capitalisme détruit ce cycle entre l’Homme et la nature. L’auteur du Capital a ainsi étudié les sciences naturelles très attentivement afin d’établir un lien entre l’Homme et l’ascenseur métabolique. C’est important de connaître cela aujourd’hui car on ne peut pas parler d’écologie sans tenir compte de la propriété privée. L’écologie doit être anticapitaliste.

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Marx nous apprend que le problème de l’exploitation de la classe ouvrière dans le travail et celui de l’exploitation de la nature sont intimement liés. Le mouvement ouvrier et les organisations syndicales ont souvent marginalisé la question écologique. Or, pour Marx, la pauvreté, la colonisation et la destruction écologique sont imbriquées. Si vous voulez vraiment abolir l’antagonisme des classes, vous devez aussi abolir l’exploitation de la nature. Cette base théorique marxienne nous sert à construire une alliance plus large entre les rouges et les verts dans l’anthropocène.

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La troisième guerre mondiale sera très grave. Nous ne sommes pas à l’abri de l’anéantissement complet et d’une nouvelle barbarie. Aujourd’hui, le choix est entre le communisme de décroissance ou la barbarie capitaliste.

Beaucoup de gens ne veulent pas de la barbarie, mais ils ne veulent peut-être pas non plus du communisme. Mais le problème est que nous ne pouvons pas continuer.

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Moins ! La décroissance est une philosophie, de Kohei Saito, éditions du Seuil, 352 pages, 23 euros.