
L’État ? Le marché ? – ni l’un ni l’autre. L’un comme l’autre ne sont que des ingrédients secondaires. L’horizon dessiné par les biens communs nous propose autre chose qu’une nostalgie de l’État-providence, mais il ne nous remet pas aux mains du marché. Les communs ne supposent pas l’existence d’un intérêt général premier qu’une puissance supérieure, l’État, aurait en charge de réaliser. L’intérêt commun ne préexiste pas ; il émerge dans sa radicalité par les pratiques de décision et de gestion collectives.
Les biens communs sont une émulsion qui prend à feu doux. Sa réussite n’est ni nécessaire ni scientifique. Elle requiert une subtile alchimie. C’est celle-ci qu’on voit prendre forme ces dernières années dans la convergence des luttes politiques autour de la notion de « biens communs ».
Des rencontres s’organisent en Europe, en Asie, en Amérique latine, etc. Derrière le terme, chacun met l’objet de sa mobilisation ou de ses inquiétudes. Des terres cultivées, de l’eau, des forêts, la santé, les logiciels libres, l’internet, la culture, l’éducation. Pour quelles raisons les militants de tant de luttes diverses cherchent-ils depuis peu à se forger avec cette notion un outil politique commun ? Parce que, dans le contexte actuel, comme c’était le cas dans les campagnes du Royaume-Uni au XVIIe siècle, les communs contrastent avec une privatisation à l’œuvre, un mouvement d’enclosure qui prend de l’ampleur. À côté des luttes contre l’appropriation de l’eau ou de la terre, ont émergé depuis vingt ans des mouvements qui dénoncent celle du savoir et le contrôle de l’information. Ensemble ils cherchent à élaborer une cuisine politique nouvelle.
Des pensées fraîches, indéterminées et aiguisées ;
Des produits rivaux et non rivaux ;
Un foyer bien entretenu ;
Quelques pincées d’intérêts divergents ;
Un coulis pas trop liquide ;
Une calculette à faire les soustractions ;
Un ratatine propriété privée et publique ;
Des rêveries de qualité, à dénicher loin des marchés battus ;
Indéfini, mais on a faim. (...)
Au nom des biens communs, les commis de cuisine tentent d’engager un changement social qui ne prendra ni les formes d’un grand soir, avec sa dépense d’énergie comme une déflagration brutale, ni celle d’une réforme du dedans. Ni grande flambée, ni cuisson à l’étouffée.
Les biens communs sont une utopie concrète, de celles qui nous font agir sans être réalisables. Pas une illusion, mais un rêve avec lequel on se réveille et qui inquiète notre réalité, une croyance qui nous mobilise parce qu’elle suscite notre adhésion, un impossible qui nous rend réaliste. Face au pragmatisme néolibéral qui fait de la rentabilité la seule norme de gestion efficace du monde, les communs dessinent l’horizon de goûts encore inaperçus.
Nous voulions une recette. De celles qui nous permettent d’espérer une meilleure pitance pour le repas d’un soir. Que nenni ! Nous n’avons trouvé ni recette, ni ingrédients prêts à l’emploi, mais des ressources inépuisables pour une anti-recette.■