
Auteur de plusieurs livres, Taras Grescoe est un journaliste montréalais spécialisé en urbanisme et en transport urbain qui donne depuis une douzaine d’années des conférences sur la mobilité durable. Dans son infolettre High Speed (intitulée jusqu’à récemment Straphanger), il raconte ce qu’il observe de mieux et de pire en matière de transport urbain chez nous et lors de ses voyages autour du monde.
(...) Beaucoup de pays imposent le passage du transport à base de combustibles fossiles au transport électrique. En Norvège, qui ne fait pas partie de l’Union européenne (UE), les voitures électriques (VE) sont désormais plus nombreuses que les voitures à moteur à combustion interne (MCI). L’UE exige la fin de la vente des véhicules à moteur à combustion interne d’ici 2035. Mais ces objectifs ont l’habitude de s’éloigner au fur et à mesure que le pays en question s’en rapproche. (...)
J’ai écrit en détail sur mon rejet de la solution simple qui consiste à remplacer les voitures à moteur à combustion interne par des véhicules électriques. (En bref, il ne s’agit que d’un surcroît de consumérisme : vous n’avez pas à changer votre mode de vie, il vous suffit d’acheter notre produit le plus cher, le plus lourd et le plus mortel ! Ce qui ne réduit aucunement l’étalement urbain, les morts et blessures dues aux accidents ainsi que les micropolluants provenant de tout ce caoutchouc en contact avec tout cet asphalte. Et c’était avant que j’apprenne ce qui se passe lorsqu’un VE prend feu : pensez à des dizaines de milliers de gallons d’eau — au lieu de quelques centaines — pour éteindre un feu de VE, et à la création d’un site de déchets toxiques persistants.)
Si nous parlons de smog, il est évidemment préférable d’avoir des VE dans votre ville plutôt que des véhicules à moteur à combustion interne, car ils génèrent moins de pollution atmosphérique locale, bien que les deux tiers de l’électricité qui les alimente proviennent toujours du brûlage de combustibles fossiles dans des centrales électriques éloignées. C’est le problème de quelqu’un d’autre, à moins que vous ne viviez sur la planète Terre, où il devient votre problème à terme.
Dernièrement, cependant, j’ai songé à formuler la question non pas en termes de « VE contre MCI », mais plutôt de « batteries contre fils aériens » (ou, dans de rares cas, troisième rail), les batteries étant un tout nouveau problème et les fils aériens étant la bonne vieille solution. (...)
Selon Amnistie internationale, 40 000 enfants congolais, dont certains n’ont que six ans, sont impliqués dans l’extraction du cobalt qui entre dans la composition des batteries des VE. L’extraction du lithium pour les VE, que mon ami Vince Beiser documente dans son nouveau livre Power Metal, détruit les écosystèmes et les communautés autochtones au Chili, en Argentine, en Chine et en Australie. Pour respecter le délai de transition vers les VE fixé par de nombreux pays, le nombre de mines de lithium dans le monde devrait presque doubler pour atteindre 75 d’ici 2035. Ce sera un désastre pour la planète. (...)
Chaque fois que vous voyez une publicité où une voiture électrique transporte un citadin vers un lac ou une montagne « vierge » en Suède, dans le Montana ou dans le nord du Québec, imaginez un endroit du Sud déchiré et mis à nu, un écosystème détruit pour le plaisir de conduire des gens du monde riche.
Au lieu de remplacer les 1,4 milliard de véhicules à moteur à combustion interne dans le monde par 1,4 milliard de véhicules à batterie — une perspective écologiquement meurtrière —, il vaudrait mieux favoriser les formes de transport électrique, dont les origines remontent au XIXe siècle. Je veux parler des trains, des tramways et des véhicules légers sur rail, qui reposent sur des roues en acier roulant sur des rails en acier. Cette technologie, qui réduit les frottements, permet de transporter de lourdes charges sur de longues distances avec une fraction de l’énergie requise par les pneus en caoutchouc qui vibrent, inefficacement, sur l’asphalte (...)
Quant aux trains électriques ordinaires alimentés par des caténaires, leur fabrication ne requiert pratiquement pas de lithium. (...)
L’hydrogène est un sous-produit de la production de combustibles fossiles, en particulier du gaz naturel ; en matière de rendement énergétique de l’énergie investie, c’est un non-sens et, dans la mesure où il empêche le véritable travail d’électrification, c’est pire qu’une distraction.) (...)
Alors, oui, l’électricité et l’électrification représentent l’avenir. Mais si cela signifie qu’il faut fournir des batteries aux centaines de millions de voitures particulières et de camions dans le monde, nous n’aurons pas un avenir très prometteur pour nos enfants et nos petits-enfants. Investir dans les lignes aériennes pour alimenter les métros et les tramways urbains, les trains de banlieue et les trains interurbains est la prochaine étape évidente pour tout pays désireux de décarboniser son réseau de transport. (...)