
La concentration des médias s’accélère en France sous l’influence de quelques milliardaires qui possèdent des journaux, radios, télés. Qui sont-ils ? Quel contrôle exercent-ils sur ce bien public qu’est l’information. Décryptage.
Le secteur de la presse en France continue d’être une sorte de Monopoly pour milliardaires en quête d’influence. Journaux, télés, radios… En une décennie, la concentration des médias n’a fait que s’intensifier, et une poignée de milliardaires se partagent le gâteau, ou se revendent titres et chaînes de télé.
Plus de 90 % des exemplaires de quotidiens nationaux vendus chaque jour dans leur version papier appartiennent directement ou partiellement à une poignée d’ultra-riches. Nous avons calculé ce chiffre à partir de la diffusion annuelle des huit quotidiens nationaux : Le Monde, Le Figaro, Aujourd’hui en France, L’Équipe, Les Échos, Libération, La Croix et L’Humanité. Ces deux derniers titres mis à part, les autres journaux ont pour propriétaires ou actionnaires un ou plusieurs milliardaires. (...)
Chaque jour, il est donc probable que vous lisiez, écoutiez ou regardiez des médias détenus par des milliardaires. Cela pose-t-il problème ? Il existe des différences de lignes éditoriales entre ces médias, certains comme ceux appartenant à Bolloré sont très orientés à droite, voire à l’extrême droite. Mais de même qu’une certaine pluralité est respectée au sein des rédactions, les journalistes qui y travaillent ne sont pas exempts de pressions, directes ou indirectes.
Ingérence et licenciements
L’actionnaire principal du groupe de presse qui publie le quotidien régional La Provence est depuis 2022, le Groupe CMA-CGM, troisième entreprise mondiale de transport maritime, basée à Marseille. À sa tête se trouve Rodolphe Saadé, dont la fortune personnelle est estimée à plus de huit milliards d’euros. Au printemps dernier, Rodolphe Saadé a mis à pied le directeur de rédaction du journal La Provence, pour une couverture jugée trop « anti-Macron », apprenait-on dans Libération. (...)
Un cas d’interventionnisme remarqué fut la nomination de Geoffroy Lejeune, ex-directeur de l’hebdomadaire d’extrême droite Valeurs actuelles, à la tête du JDD, par Vincent Bolloré. À Paris Match (cédé à LVMH en octobre 2024) et au JDD, le contre-pouvoir des journalistes face à la direction n’existe plus depuis que leurs sociétés de journalistes se sont dissoutes en janvier 2024. Chez CNews, elle a disparu en 2023. Après la prise de contrôle de la chaîne par Bolloré en 2016, 100 journalistes sur 120 avaient quitté la rédaction à l’issue d’une grève de 31 jours.
Aux Échos, Nicolas Barré, directeur de la rédaction a été évincé de son poste en raison de désaccords éditoriaux avec l’actionnaire du journal. En 2022, Bruno Jeudy, rédacteur en chef politique et économique de Paris Match, est limogé un mois après avoir contesté une Une qui avait tout pour plaire à Bolloré.
Fin 2022, alors que Vincent Bolloré est en passe d’avaler Europe 1, deux articles sont mis à la trappe par la direction pour « ne pas déplaire au futur patron », révélait Les Jours. Sur les plateaux de BFM TV, quelques mois avant le rachat d’Altice, Rodolphe Saadé avait demandé que les médias du groupe évitent toute « attitude agressive vis-à-vis de l’actionnaire ».
Au-delà de ces ingérences directes, une autre forme de pression plus subtile est celle qui pousse les journalistes à s’autocensurer. (...)
Et puis il y a les « poursuites bâillons » qui peuvent dissuadent les médias de s’emparer de certaines sujets par peur de se voir attaqués en justice. En 2022, Patrick Drahi a poursuivi le site d’enquêtes Reflets-info après une série d’articles sur son groupe Altice.
La course à l’acquisition
La concentration s’accélère. (...)
Cette ingérence des puissances de l’argent dans les médias contribue à la dégringolade de la confiance dans la presse. 57 % des Français considèrent qu’il faut « se méfier de ce que disent les médias sur les grands sujets d’actualité », selon le baromètre du quotidien La Croix en 2023. La perception de l’indépendance des journalistes en prend aussi un coup : presque 60 % des personnes sondées considéraient que les journalistes ne résistent pas aux pressions des partis politiques, du pouvoir et de l’argent.