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Mediapart
L’opposition russe en exil : « Si vous voulez nous aider, sauvez l’Ukraine »
#guerreenUkraine #resistances #UE
Article mis en ligne le 8 juin 2025
dernière modification le 6 juin 2025

Trois importantes figures de l’opposition à Vladimir Poutine – Ioulia Navalnaïa, Vladimir Kara-Mourza et Ilia Iachine – étaient reçues 5 juin au Parlement européen. Elles ont exhorté à ne pas abandonner l’Ukraine et à ne pas réduire la Russie aux crimes de son président.

Alors qu’il était en prison à l’automne 2022, Vladimir Kara-Mourza a reçu une grande enveloppe jaune avec un cachet de la poste belge. Elle était déjà ouverte, comme toute la correspondance des prisonniers russes. L’opposant en a extrait quelques feuilles : une lettre de soutien, signée par une longue liste de parlementaires européens.

Deux ans et demi plus tard, celui qui était « absolument sûr qu’il allait mourir en prison », finalement libéré en août 2024 grâce à un vaste échange de prisonniers, a enfin pu s’adresser en personne à celles et ceux qui lui avaient écrit à l’époque. « Je ne peux pas vous dire ce que cela a signifié pour moi de recevoir ce message d’espoir du monde libre. Combien il était important de savoir que les prisonniers politiques n’étaient pas seuls », a-t-il expliqué devant la commission des affaires étrangères du Parlement européen qui le recevait jeudi 5 juin. (...)

Le journaliste et historien était accompagné de deux autres piliers de l’opposition à Vladimir Poutine : l’économiste Ioulia Navalnaïa, qui a repris le combat de son mari Alexeï Navalny après la mort de ce dernier en prison en février 2024, et le militant Ilia Iachine, libéré comme Vladimir Kara-Mourza lors de l’échange de prisonniers d’août 2024.

« Piège » tendu à l’Occident

Les trois opposant·es sont venus à Strasbourg avec un message : Vladimir Poutine ne représente pas le peuple russe. (...)

Pour prendre la mesure de la défiance des Russes ordinaires vis-à-vis de Vladimir Poutine et de sa guerre, l’historien invite à regarder ailleurs : du côté des centaines de milliers de personnes qui ont soutenu la candidature à la présidentielle de l’opposant Boris Nadejdine en 2024 (il avait fait campagne en promettant de mettre fin à la guerre contre l’Ukraine, avant que sa candidature ne soit invalidée) ; ou du côté des milliers de personnes envoyées en prison ou poursuivies en justice en raison de leurs positions anti-guerre, comme Alexeï Gorinov, élu local de Moscou emprisonné depuis juillet 2022 pour avoir condamné publiquement l’invasion russe de l’Ukraine. (...)

« Créer une démocratie en Russie c’est notre travail, notre responsabilité. Mais si voulez nous aider, sauvez l’Ukraine de Poutine », a embrayé Ilia Iachine – condamné à huit ans de prison pour « discrédit de l’armée » russe après avoir dénoncé les massacres de civil·es ukrainien·es à Boutcha. Pour le militant, « céder l’Ukraine », qui « est une partie de l’Europe », à Vladimir Poutine aurait pour conséquence de « renforcer son régime, le rendre plus agressif » et serait « un recul pour nos compatriotes qui luttent pour un avenir démocratique en Russie ».
« Mieux vaut tard que jamais »

La venue de ces trois politiques était attendue. Car entre l’opposition russe en exil et le Parlement européen, l’histoire n’a pas toujours été simple. « Je crois que ce type de dialogue aurait dû commencer il y a très longtemps – mais mieux vaut tard que jamais », n’a pas manqué de relever, en préambule, Ioulia Navalnaïa. (...)

« Mes collègues constatent qu’on peut demander toutes les sanctions qu’on veut, dire tout ce que l’on dit sur la guerre en Ukraine, cela ne semble pas avoir d’effets sur le régime », au contraire de ce que tentent de faire les opposant·es russes, ajoute un autre eurodéputé français, le président de la sous-commission droits de l’homme du Parlement, Mounir Satouri.
Une main « couverte de sang »

Lors de cette séance longtemps attendue donc, Ioulia Navalnaïa, Vladimir Kara-Mourza et Ilia Iachine ont également appelé l’UE à prendre la place laissée vacante par les États-Unis – désormais alignés avec Moscou sur de nombreux sujets –, en lançant une grande campagne pour la libération des prisonniers politiques russes et en soutenant les médias russes indépendants. La veuve d’Alexeï Navalny vient d’annoncer le lancement d’une nouvelle chaîne de télévision, accessible par satellite en Russie, afin de poursuivre le travail de l’activiste anticorruption.

Alors que Volodymyr Zelensky s’est récemment dit prêt à ouvrir le dialogue avec l’opposition russe, Ilia Iachine a assuré « être [également] prêt » et « le souhaiter », suggérant que les Européen·nes jouent un rôle d’intermédiaire pour débuter ces échanges. (...)

Quelques prises de parole d’eurodéputés sont venues rappeler que le Parlement européen héberge aussi des forces politiques plus proches de Vladimir Poutine que des Russes qui le combattent, à l’image de l’élu d’extrême droite polonais Grzegorz Braun, qui s’élève contre la « rhétorique guerrière » des opposant·es, plaide pour « la normalisation et non l’escalade » vis-à-vis de la Russie et assure qu’il y a « aussi en Europe des gens [mis] en prison pour ce qu’ils ont dit ou écrit ».

« Ceux qui veulent serrer la main de Poutine ne doivent pas oublier que cette main est couverte de sang », a estimé Vladimir Kara-Mourza concernant une éventuelle normalisation des relations avec Moscou, avant de conclure, s’adressant à Grzegorz Braun : « Nous sommes heureux que vous puissiez ici exprimer votre avis sans crainte d’être empoisonné comme Navalny, abattu d’une balle dans le dos comme [Boris] Nemtsov, ou envoyé en prison comme d’autres. Savourez cette liberté, cela fait deux générations dans mon pays que nous n’avons pas pu la connaître. »