Le 1er novembre 2023, trois semaines après le début de la guerre israélienne contre Gaza, cinq jours après l’entrée des chars dans la bande de Gaza, le lendemain de l’ensevelissement de plus de 150 Palestinien·nes sous un immeuble d’habitation à Nuseirat – dont environ la moitié étaient des enfants, beaucoup jouant au football à proximité de la maison au moment des bombardements –, un acteur fait son entrée en scène depuis l’autre côté de l’Atlantique : Sintracarbón, le syndicat des mineurs de charbon colombiens. Dans un communiqué, Sintracarbón qualifie les événements de « génocide » et appelle le gouvernement colombien à « suspendre les exportations de charbon vers Israël »1.
« Nous sommes conscients que notre travail actuel est cause de souffrance, de douleur et de mort pour nos frères et sœurs en Palestine, nous confie quelques mois plus tard Juan Carlos Solano, mineur de charbon et membre de Sintracarbón. Nous avons vu comment Israël utilise l’énergie que nous produisons pour fabriquer toute cette technologie de pointe et ces logiciels, tous ces instruments de guerre. Nous avons dit aux entreprises que nous ne voulons pas que notre travail ait cet effet dans une autre partie du monde. C’est pourquoi nous signons ces documents pour protester contre la guerre d’extermination. »
Plus proche du bain de sang, Leyla, une militante palestinienne, est galvanisée par cet appel. Originaire de Gaza mais vivant à Amman en Jordanie, Leyla, qui a souhaité conserver l’anonymat, travaille pour Disrupt Power, un collectif de recherche militant palestinien en quête de moyens pour enrayer la machine de mort. Pour elle, le charbon est la cible idéale (...)
Après avoir identifié les navires qui transportent le charbon et les ports où ils accostent, ils transmettent leurs recherches à l’Institut Palestinien de Diplomatie Publique (PIPD), une ONG basée à Ramallah.
Au printemps 2024, Amira, une militante du PIPD qui a également requis l’anonymat, quitte la Cisjordanie avec une mission : convaincre le gouvernement colombien de ne pas exporter son charbon vers Israël. (...)
Le décret 1047, préambule à l’arrêt des exportations de charbon colombien vers Israël (...)
Le décret 1047, préambule à l’arrêt des exportations de charbon colombien vers Israël (...)
à la veille du génocide à Gaza, entre un cinquième et un quart de l’électricité du pays provenait encore de la combustion du charbon extrait en grande partie de terres violemment dépeuplées en Colombie4. En 2023, les entreprises fossiles colombiennes ont expédié pour près de 447 millions de dollars de charbon vers Israël, ce qui représente environ 5 % des exportations de charbon de la Colombie et près de la moitié des importations de cette énergie fossile pour Israël. (...)
C’est avec cette réalité en tête qu’Amira se rend à Bogota début 2024, espérant convaincre la Colombie de mettre fin à une collaboration qui a ravagé de nombreuses vies des deux côtés de l’Atlantique. (...)
En juin 2024, le président annonce que la Colombie cessera ses ventes de charbon à Israël7. En août, il publie sur Twitter une brève explication : « Le charbon colombien sert à fabriquer des bombes pour tuer des enfants palestiniens »8, accompagnée de la copie d’un décret : le décret 1047, qui inscrit l’interdiction d’exportation vers Israël dans la loi9. Citant le cas du génocide sud-africain, il souligne que la Constitution colombienne « garantit le droit à la propriété privée » mais qu’« en cas de conflit entre des droits, les intérêts privés doivent céder le pas aux préoccupations publiques et sociales ».
Outre-Atlantique, la décision de Petro de se désengager concrètement du génocide commis par Israël fait des vagues. Il s’agit de la plus grande victoire à ce jour pour la campagne en faveur d’un embargo énergétique contre Israël, voire pour le mouvement de boycott dans son ensemble. (...)
En réaction à l’annonce de l’embargo, la Compagnie israélienne d’électricité, principal fournisseur d’électricité du pays, déclare être en négociations avec des « fournisseurs alternatifs » d’énergie afin d’« élargir sa marge de manœuvre ». Il n’empêche que l’asphyxie des approvisionnements colombiens menace de laisser Israël à bout de souffle en matière d’énergie.
Plus tard, il s’avéra pourtant que l’extraction minière alimentant Israël ne s’interrompit pas si rapidement. Même après l’interdiction de Petro, des navires continuèrent de quitter les ports colombiens à destination des territoires occupés, les compagnies d’extraction de charbon trouvant le moyen de contourner la loi. Le décret 1047 n’a donc pas fait cesser les exportations, mais il marqua le préambule de leur arrêt. (...)
« Dieu seul sait combien de paysans gisent encore enterrés ici… Le charbon qui sort de cette terre est taché de sang. »
Une habitante du village de La Loma, dans la région charbonnière de la Colombie « Dieu seul sait combien de paysans gisent encore enterrés ici… Le charbon qui sort de cette terre est taché de sang. »
Une habitante du village de La Loma, dans la région charbonnière de la Colombie (...)
L’arrivée des géants miniers dans les années 1990 a coïncidé avec une intensification du conflit armé qui ravageait la Colombie depuis plusieurs décennies, opposant paramilitaires d’extrême droite et guérillas d’extrême gauche. (...)
L’implication d’Israël dans le conflit armé en Colombie
Israël est profondément impliqué dans cette histoire d’extraction destructrice. Tout au long du conflit armé colombien, des acteurs israéliens ont contribué à ouvrir la voie à Drummond et Glencore, en assistant et en équipant les forces militaires de droite. Une histoire d’implications sordides largement documentées, et encore vive dans les mémoires en Colombie (...)
. D’autres pays qu’Israël ont certes acheté davantage de charbon à la Colombie. Mais aucun n’a laissé une empreinte aussi déterminante sur le développement sanglant de cette industrie. (...)