La justice administrative examinait mardi 18 novembre le recours de trois associations contre le ministère de l’éducation pour son inaction en matière d’éducation à la santé sexuelle et affective. Le rapporteur public a demandé au juge de reconnaître la faute de l’État.
Vingt-quatre ans, c’est bien long pour accoucher d’une politique publique. C’est ce qu’a confirmé le rapporteur public, à l’occasion de l’audience opposant les associations Sidaction, SOS homophobie et le Planning familial au ministère de l’éducation, devant le tribunal administratif de Paris, le 18 novembre 2025.
Il y a deux ans, réunies dans le collectif Cas d’école, ces associations ont déposé un recours contre l’État pour non-application de la loi de 2001 relative à l’éducation à la sexualité, qui prévoyait trois séances d’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle par an, de la maternelle au lycée.
Pour le rapporteur public, magistrat chargé d’éclairer le tribunal, « à l’aune de la chronologie, […] le retard constitue une carence fautive », de nature à engager la « responsabilité » du ministère de l’éducation. La situation portait par ailleurs directement atteinte aux intérêts des associations qui travaillent et défendent ce sujet depuis plus de deux décennies, a-t-il estimé. (...)
« Si ces conclusions sont suivies, cette reconnaissance officielle marquera une étape historique sur un sujet central pour la prévention, la santé sexuelle, l’égalité filles-garçons et la lutte contre les violences », estime le collectif Cas d’école dans un texte commun publié à l’issue de l’audience. Le délibéré sera rendu le 2 décembre prochain.
Un élément a néanmoins changé la donne : Élisabeth Borne, ancienne ministre de l’éducation, a pris le 3 février dernier un arrêté fixant le programme d’éducation à la sexualité, une grande première. Au regard de ce texte, le rapporteur public considère qu’il n’y a pas lieu de procéder à des « conclusions d’injonctions », qui obligeraient l’État à se mettre en conformité avec la loi sous la menace de pénalités.
Le ministère, en défense, ajoute de son côté que de nombreuses mesures ont été prises pour remplir au mieux ses obligations depuis 2001. Il s’appuie notamment sur le rapport de l’inspection générale de l’éducation, de la recherche et du sport (IGESR) de juillet 2021, qui soulignait les « efforts de cadrage, le souci de mieux former les personnels et l’accompagnement important des académies et des établissements scolaires ».
Ce faisant, le ministère oublie de préciser que ce rapport de 2021, sans être un brûlot, était déjà très critique, regrettant « les difficultés concrètes » dans la mise en œuvre, le manque « d’efficacité et d’effectivité », le caractère très disparate de l’éducation à la vie affective et à la sexualité (Evars) dispensée dans les établissements, ainsi que les interrogations, nombreuses, sur le « sens » même de la discipline à l’école. À tel point que le document est resté un an caché dans les tiroirs de la Rue de Grenelle, révélait Mediapart en 2022.
Obligation de résultat
Pour Pierre Rosin, avocat des trois associations requérantes, après examen du Code de l’éducation, mais aussi de diverses décisions du Conseil d’État, il ne subsiste pas « la moindre ambiguïté ». L’État a bien une « obligation de résultat ». (...)
Sur le terrain, « d’importantes difficultés d’organisation subsistent », y compris depuis septembre 2025, insiste Maud Angliviel, également avocate des associations, lors de l’audience. Et de citer notamment le Conseil national du sida et des hépatites virales. Dans un communiqué publié en octobre, l’organisation s’inquiète en effet « des remontées du terrain faisant état d’une application encore inégale de l’Evars, marquée par des disparités territoriales, un manque de ressources humaines et une formation insuffisante des équipes pédagogiques ».
« Face à ces carences, l’administration ne fait valoir aucun élément. Comment entend-on appliquer un programme alors qu’on ne forme pas les enseignants en charge de la mise en œuvre du programme ? », interroge Me Angliviel, qui cite l’étude récente du centre de ressources Hubertine-Auclert, établissant que près d’un élève sur deux subissait des violences sexuelles dans l’univers scolaire, en ligne ou pas. (...)
Un manque concret de prévention
Les conséquences d’une telle lenteur dans la mise en œuvre sont tout à fait concrètes, a rappelé Florence Thune, directrice générale de Sidaction. L’information sur la prévention du sida parmi les jeunes s’est effondrée année après année, « avec des jeunes qui pensent qu’on peut être contaminé par le VIH en partageant un même verre d’eau, qui ne savent pas où aller se faire dépister, qui n’ont aucune information sur les nouveaux modes de prévention ». La militante associative insiste aussi sur la nécessité d’avoir des adolescent·es qui entrent dans « une sexualité épanouie, consentie et donc protégée ».
« Ce qui manque aujourd’hui, c’est une formation nationale et complète de l’ensemble des enseignants, pas seulement basée sur leur bon vouloir ou sur la formation à distance ou en ligne », poursuit Florence Thune (...)
Le contexte, cependant, ne semble guère favorable : l’éducation à la sexualité en milieu scolaire est de plus en plus contestée, par des collectifs de parents, mais aussi et surtout par une partie de la sphère médiatique et politique, l’extrême droite en ayant fait l’un de ses principaux chevaux de bataille.
La trajectoire budgétaire n’est pas bien meilleure, critiquent unanimement les associations. (...)