Delphine Ernotte-Cunci a été très longuement interrogée le 10 décembre dans le cadre de la commission d’enquête sur la neutralité et le financement de l’audiovisuel public. L’agressivité du rapporteur du groupe UDR Charles Alloncle et ses questions trop anecdotiques n’ont pas mis en difficulté la dirigeante.
Là où il avait annoncé « une cinquantaine de questions », le député du groupe d’Éric Ciotti s’est en fait arc-bouté sur une poignée d’interrogations, reprenant largement des polémiques entretenues par l’extrême droite depuis des mois sur tel ou tel point ultraprécis, parfois avec une insistance frisant le grotesque.
Par ce choix, il a en fait laissé le champ large à Delphine Ernotte-Cunci, qui n’a pas été réellement mise en difficulté durant cette longue audition. Le matin même dans un article du Figaro, elle avait pris soin de déployer un éventail de réponses destinées à préparer le terrain.
À propos des relations extrêmement tendues de l’audiovisuel public avec les médias du groupe Bolloré, contre lesquels elle a lancé une procédure judiciaire pour dénigrement, elle assurait que bien que ces médias ne fassent « pas le même travail » que les médias publics, diffuser des « chaînes d’opinion » « fonctionne très bien » pour assurer un équilibre du débat politique.
Elle a aussi reconnu « un enchaînement d’erreurs à l’antenne » récemment, entre le bandeau annonçant la libération « d’otages palestiniens », la confusion entre les enseignants assassinés Dominique Bernard et Samuel Paty dans le journal télévisé de France 2, un graphique présentant mal les intentions de vote pour la présidentielle de 2027… Elle a notamment annoncé la création d’une « direction de la vérification et de l’intégrité de l’information » et la publication en ligne de la liste de toutes et tous les invité·es des chaînes publiques.
Mais à l’Assemblée, Delphine Ernotte n’a même pas eu à batailler grandement sur ces points. Charles Alloncle est resté concentré sur sa stratégie annoncée le 25 novembre, où il avait dénoncé de « graves dysfonctionnements financiers et budgétaires » et de nombreuses « entorses au principe de neutralité » de l’audiovisuel public.
Coupes budgétaires
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Dans son propos introductif, elle s’était de toute manière livrée à une longue anaphore pour se féliciter que bien des programmes phares du service public ne soient pas « rentables ». Et puisque 80 % des revenus de l’entreprise proviennent de l’argent de l’État, la dirigeante a eu beau jeu de rappeler que le déficit de 2025 était surtout dû à « trois coupes budgétaires successives entre le mois de novembre et le mois de février » décidées par les gouvernements qui se sont succédé.
Delphine Ernotte a aussi été prise à partie par le rapporteur sur son salaire, fixé par décret gouvernemental à 400 000 euros annuels maximum, dont 78 000 euros de part variable. Une somme qui n’a pas évolué depuis 2016. Le député a demandé à plusieurs reprises si cette part variable serait versée intégralement, au vu des mauvais résultats financiers de cette année. Le secrétaire général de l’entreprise, Christophe Tardieu, n’a eu qu’à répondre par la négative.
Devant l’insistance agressive de son collègue, Jérémie Patrier-Leitus est même monté en défense, disant qu’« on ne [pouvait] pas laisser penser que le salaire de Mme Ernotte dépendrait de son bon vouloir ». « Si les parlementaires que nous sommes contestons votre rémunération, il nous appartient de la changer [en le demandant au gouvernement] », a-t-il rappelé.
Frais de cocktail fantômes
Sur la question financière, le débat a encore plus tourné à la farce autour de prétendus « frais de cocktail et de réception » du groupe, qui seraient montés à 1,5 million d’euros en 2020, pendant la période du covid, soit trois fois plus que les deux années suivantes. Charles Alloncle avait déjà posé la question le 4 décembre à un responsable de la Cour des comptes, et le chiffre circule dans les médias d’extrême droite depuis.
« Comment est-ce que vous justifiez de telles dépenses ? Avez-vous l’impression que France Télévisions se soit mis au-dessus des lois ? », a-t-il interrogé, revenant à de nombreuses reprises sur la question, tout comme Hanane Mansouri, autre députée UDR.
Problème : jamais la Cour des comptes n’a parlé de frais de « cocktail ». La ligne du rapport de la Cour (page 163) évoque en fait les « frais de réception et achats alimentaires ». Delphine Ernotte a expliqué qu’il s’agissait principalement du coût des achats nécessaires pour assurer les repas des équipes de France Télévisions, qui n’ont pas cessé de travailler pendant le confinement… « Oui, les services généraux ont pris sur eux de commander des paniers-repas, parce que, c’est un scoop, les techniciens de France Télévisions mangent à midi », a-t-elle ironisé.
Quant aux questions du rapporteur sur la manière dont l’audiovisuel public traite l’actualité, elles n’ont pas été mieux amenées. (...)
La dirigeante a seulement été mise en difficulté lorsqu’elle a affirmé que « la seule sanction de l’Arcom » prononcée depuis 2015 envers son groupe concernait une séquence du 14 juillet 2016, dans la nuit suivant l’attentat de Nice, où France 2 avait interviewé un homme juste à côté de la dépouille de sa femme. (...)
Devant diverses protestations des membres de la commission, elle a dû reconnaître que bien d’autres mises en garde avaient été prononcées par l’autorité de contrôle, mais qu’elles ne correspondent pas formellement au degré de gravité d’une sanction.
Certain·es député·es de gauche n’ont pas été beaucoup plus subtils dans leurs questions, miroir de celles de l’UDR et du Rassemblement national. « Est-ce que de façon générale, vous n’êtes pas une agence de communication de la macronie ? », a par exemple interrogé sans grande nuance Ersilia Soudais (La France insoumise, LFI).
Son collègue insoumis Aymeric Caron (qui fut chroniqueur d’« On n’est pas couché » de 2012 à 2015 sur France 2) a quant à lui lancé que France Télé avait « choisi d’adopter le point de vue du gouvernement criminel israélien » et s’est emporté contre le « négationniste » Raphaël Enthoven (parce qu’il avait assuré qu’il n’y avait « pas de journalistes » à Gaza). Mécontent de ne pas avoir obtenu de réponse, le député a bruyamment dénoncé « une mascarade », déclenchant une interruption de séance de quelques minutes.
De quoi laisser Delphine Ernotte-Cunci s’en tirer en répondant de façon générale. « Je n’ai jamais subi de pression politique », a-t-elle promis. Du moins, hormis les appels divers de certains responsables politiques ou économiques. « Moi qui préside les télés publiques européennes, qui vois ce que c’est que la pression exercée par certains gouvernements sur l’audiovisuel public, je peux vous dire qu’à date, on a de la chance de vivre en France », a-t-elle glissé.
Le 17 décembre, la commission d’enquête entendra Sibyle Veil, PDG de Radio France, suivie le 18 décembre par la directrice de France Inter Adèle Van Reeth et les journalistes Patrick Cohen et Thomas Legrand.