
Le média Kyiv Independent, partenaire de Mediapart, analyse en détail les exigences de Moscou, de l’abandon des régions de Louhansk et de Donetsk à celui de l’adhésion à l’Otan. Sans voir de contreparties propres à satisfaire l’Ukraine.
La Russie exige ainsi le retrait total des forces ukrainiennes des régions de Donetsk et de Louhansk ; la reconnaissance de jure des territoires occupés comme russes ; un statut spécial pour l’Église soutenue par la Russie et la langue russe en Ukraine ; la démilitarisation de Kyiv et l’interdiction pour Kyiv d’adhérer à l’Otan.
En échange, l’Ukraine se voit proposer des garanties potentielles qui restent à définir et font l’objet de déclarations contradictoires. (...)
Le Kyiv Independent a résumé toutes les exigences russes énoncées par le président Poutine et explique pourquoi la plupart d’entre elles ne seraient pas acceptées par l’Ukraine.
Échanges de territoires
Depuis 2022, la Russie exige le retrait des troupes ukrainiennes de toutes les régions qu’elle contrôle partiellement et qu’elle revendique comme annexées.
La Russie a annexé illégalement la péninsule ukrainienne de Crimée en 2014. Le Kremlin a également annoncé l’annexion – tout aussi illégale – des oblasts (régions) ukrainiens de Kherson, Zaporijjia, Donetsk et Louhansk en 2022, bien qu’il ne les contrôle que partiellement. (...)
Selon certaines informations, Poutine aurait accepté de ne pas revendiquer les villes de Kherson et de Zaporijjia, que la Russie affirme avoir annexées mais ne contrôle pas. En échange, Poutine souhaite que les troupes ukrainiennes se retirent du reste des régions de Louhansk et de Donetsk.
D’après d’autres informations, dont une publiée par le Kyiv Independent, Poutine aurait accepté de retirer les troupes russes de petites parties des régions de Soumy et de Kharkiv en échange du retrait de l’Ukraine de la région de Donetsk. Mais les analystes considèrent que ces plans d’échange de territoires, ainsi conçus, sont voués à l’échec. (...)
« Malheureusement, je vois bien Trump reconnaître officiellement les revendications de la Russie sur les territoires ukrainiens, a déclaré Mathers. Mais je soupçonne que ce serait un point de refus absolu pour l’Ukraine. »
Charly Salonius-Pasternak, chercheur au Centre d’études sur la politique et le pouvoir américains de l’Institut finlandais des affaires internationales, a déclaré que si les États-Unis reconnaissaient de jure l’un des territoires occupés, cela « constituerait un changement fondamental dans la politique américaine et signifierait que les frontières sont modifiées unilatéralement par le recours à la force militaire ».
Il a déclaré au Kyiv Independent qu’il soupçonnait que la position finale des États-Unis pourrait impliquer une reconnaissance de facto, mais qu’elle « n’irait pas jusqu’à une reconnaissance de jure » en raison de l’opposition européenne et ukrainienne.
Volodymyr Fesenko, un analyste politique ukrainien, a avancé auprès du journal qu’il serait absolument impossible pour l’Ukraine de reconnaître les territoires occupés comme russes. L’opinion publique ukrainienne y est massivement opposée, ce qui reviendrait à un suicide politique pour Zelensky. Il a toutefois ajouté que Poutine et Trump pourraient pousser à un accord de paix partiel ou abrégé qui ne stipulerait aucune reconnaissance de jure des territoires. (...)
Pas d’adhésion à l’Otan
L’Ukraine considère l’adhésion à l’Otan comme la meilleure garantie de sécurité possible pour le pays après la guerre. La présidence de Trump a rendu cet objectif difficile à atteindre.
Après avoir rencontré Poutine en Alaska, le président américain s’est une nouvelle fois prononcé contre l’adhésion de l’Ukraine à l’Otan, s’alignant ainsi sur la demande de longue date de la Russie, qui souhaite que l’Ukraine reste un État neutre en dehors de l’alliance. (...)
La Russie a envahi l’Ukraine en 2014, alors qu’il n’y avait aucune discussion sur l’adhésion de l’Ukraine à l’Otan. L’opinion publique avant l’invasion russe n’était pas non plus favorable à l’adhésion à l’alliance, ce qui signifie que l’agression de Moscou n’était pas une réaction à l’expansion de l’Otan mais plutôt une manœuvre visant à saper la souveraineté de l’Ukraine.
L’adhésion de Kyiv à l’Otan signifierait que toute nouvelle attaque potentielle de la Russie serait considérée comme une attaque contre tous les pays membres de l’alliance, qui, en vertu de l’article 5, seraient tenus de réagir collectivement et de se défendre contre l’agression.
Plus tôt, Zelensky avait qualifié le retrait de l’adhésion de l’Ukraine à l’Otan des négociations de « cadeau énorme fait à la Russie » par Washington (...)
« La Russie pourrait revenir dans dix ans si nous ne sommes pas prêts. Elle ne reviendra pas si nous la repoussons là où elle doit être, sur son propre territoire, et si l’Ukraine rejoint l’UE et l’Otan dans un avenir proche », a déclaré Zelensky il y a cinq mois.
Les experts ont toutefois indiqué qu’il s’agit là d’une des rares exigences russes qui peuvent être négociées lors d’éventuels pourparlers de paix, les États-Unis s’étant publiquement opposés à l’invitation de l’Ukraine à rejoindre l’organisation.
Une « démilitarisation » du pays
La « démilitarisation » et la « dénazification » sont les deux prétextes utilisés par le Kremlin pour lancer son invasion à grande échelle de l’Ukraine en février 2022. Au début de l’invasion à grande échelle de la Russie, le président Volodymyr Zelensky a rejeté ces deux termes, les qualifiant de « totalement incompréhensibles ».
Si le Kremlin a progressivement abandonné le discours sur la « dénazification », il a continué à invoquer la « démilitarisation » comme condition à la fin de la guerre. En juin 2023, le Kremlin a affirmé que l’Ukraine avait été « largement démilitarisée », utilisant ce terme pour présenter ses objectifs militaires comme défensifs plutôt qu’impériaux.
Selon Poutine, l’objectif de la prétendue « démilitarisation » est de « priver [l’Ukraine] de la capacité de maintenir des forces armées qui pourraient constituer une menace pour la Russie ». (...)
Moscou continue de justifier son invasion à grande échelle de l’Ukraine en prétendant défendre la population russophone. Cependant, les personnes que la Russie prétend protéger rejettent massivement ces affirmations.
Plus de 80 % des Ukrainiens russophones ont une opinion négative de la Russie, selon un sondage publié en mai par le think tank Razumkov Center, basé à Kyiv, en coopération avec le Forum de sécurité de Kyiv.
Bien que l’ukrainien soit la langue officielle de l’État, de nombreux Ukrainiens et Ukrainiennes parlent russe en raison des siècles de russification qui se sont déroulés sous l’Empire russe et l’Union soviétique. Pour la plupart, parler russe ne signifie pas être fidèle à la Russie. Pourtant, le Kremlin exploite la langue comme un outil de propagande, suggérant que les Ukrainien·nes russophones veulent s’unir à Moscou. (...)
La propagande russe a cherché à présenter la décision de l’Ukraine d’interdire l’Église liée à Moscou comme une « persécution des chrétiens ».
Si le christianisme orthodoxe reste la religion la plus répandue et la plus pratiquée en Ukraine, les mesures prises contre cette Église sont fondées sur des preuves de sa collaboration avec la Russie. (...)
Le refus de réelles garanties de sécurité pour l’Ukraine
Qu’obtiendrait l’Ukraine une fois ces exigences satisfaites ? Steve Witkoff, envoyé spécial du président américain Donald Trump, a déclaré qu’une garantie de sécurité de type article 5 – mais pas l’adhésion à l’Otan – était en discussion pour l’Ukraine.
L’article 5 de l’Otan stipule qu’une attaque armée contre un membre « sera considérée comme une attaque contre tous » et que chaque membre prendra « les mesures qu’il jugera nécessaires, y compris l’emploi de la force armée, pour rétablir et maintenir la sécurité de la zone de l’Atlantique Nord ». Cela pourrait notamment inclure l’envoi de troupes dans un pays attaqué.
Les analystes estiment qu’il est très improbable que les États-Unis fournissent une garantie aussi forte. (...)
Bettina Renz, professeure de sécurité internationale à l’université de Nottingham, a fait valoir que « comme l’ont conclu la Suède et la Finlande lorsqu’elles ont rejoint l’Otan après l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie en 2022, le fait d’être sous le parapluie nucléaire de l’Otan et de bénéficier de l’article 5 était la seule garantie de sécurité avec laquelle elles se sentaient à l’aise face à l’agression militaire russe ».
« Il est difficile d’imaginer comment des garanties de sécurité moins importantes que celles-ci pourraient être crédibles pour l’Ukraine, d’autant plus que ce pays est déjà victime depuis de nombreuses années d’une agression militaire dévastatrice de la part de la Russie et qu’il est réaliste de penser qu’il sera plus susceptible que la plupart des autres États voisins de la Russie de subir à nouveau une telle agression à l’avenir », a-t-elle ajouté.
Le maximum qui pourrait se produire serait un contingent symbolique de soldats de la paix européens en Ukraine, avec un certain soutien logistique des États-Unis, a déclaré l’analyste politique ukrainien Volodymyr Fesenko au Kyiv Independent, ajoutant que cela ne serait pas suffisant pour l’Ukraine. (...)
Witkoff a également déclaré que la Russie pourrait accepter « d’inscrire dans la législation de la Fédération de Russie qu’elle ne cherchera pas à s’emparer d’autres territoires une fois l’accord de paix codifié ». Les analystes estiment cependant que cette « garantie » n’a aucune valeur. « Poutine a violé tellement de traités et d’accords que ceux-ci ne valent pas le papier sur lequel ils sont écrits », pense James Shea. (...)