Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
La Quadrature du Net
La police prédictive en France : contre l’opacité et les discriminations, la nécessité d’une interdiction
#police #IA #discriminations #democratie #technopolice #laquadraturedunet
Article mis en ligne le 20 janvier 2024
dernière modification le 19 janvier 2024

Après plusieurs mois d’enquête, dans le cadre d’une initiative européenne coordonnée par l’ONG britannique Fair Trials, La Quadrature publie aujourd’hui un rapport sur l’état de la police prédictive en France. Au regard des informations recueillies et compte tenu des dangers qu’emportent ces systèmes dès lors notamment qu’ils intègrent des données socio-démographiques pour fonder leurs recommandations, nous appelons à leur interdiction.

Après avoir documenté dès 2017 l’arrivée de systèmes assimilables à la police prédictive, puis ayant été confrontés à l’absence d’informations à jour et de réel débat public sur ces systèmes, nous avons souhaité enquêter plus en détail. Pour ce rapport, nous avons donc réuni les informations accessibles sur plusieurs logiciels de police prédictive anciennement ou actuellement en utilisation au sein des forces de police françaises (...)

Des technologies dangereuses, sans encadrement ni évaluation

Nous résumons ici les principales critiques à l’encontre des systèmes étudiés, dont la plupart font appel à des techniques d’intelligences artificielle.
Corrélation n’est pas causalité

Le premier danger associé à ces systèmes, lui-même amplifié par l’absence de transparence, est le fait qu’ils extrapolent des résultats à partir de corrélations statistiques entre les différentes sources de données qu’ils agrègent. En effet, par mauvaise foi ou fainéantise idéologique, les développeurs de ces technologies entretiennent une grave confusion entre corrélation et causalité (ou du moins refusent-ils de faire la distinction entre les deux). Or, ces amalgames se traduisent de façon très concrète dans le design et les fonctionnalités des applications et logiciels utilisés sur le terrain par les policiers, mais aussi dans leurs conséquences sur les habitantes exposées à une policiarisation accrue.

Lorsqu’elle recourt à ces systèmes d’aide à la décision, la police devrait donc au minimum tâcher de démontrer la pertinence explicative de l’utilisation de variables socio-démographiques spécifiques dans ses modèles prédictifs (c’est-à-dire aller au-delà des simples corrélations pour retracer les causes structurelles de la délinquance, ce qui pourrait conduire à envisager d’autres approches que les politiques sécuritaires pour y faire face). Cela implique en premier lieu d’être transparent au sujet de ces variables, ce dont on est pour l’instant très loin. (...)

Des variables potentiellement discriminatoires

Or, il est probable que, à l’image des algorithmes utilisés par la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF), certaines variables socio-démographiques mobilisées soient discriminatoires.

En effet, les scores de risque sont possiblement corrélés à un taux de chômage ou de pauvreté important, ou encore à un taux élevé de personnes nées en dehors de l’Union européenne dans le quartier considéré. (...)

De fausses croyances criminologiques

Un autre danger associé à ces systèmes réside dans le fait qu’ils enracinent des doctrines criminologiques décriées. (...)

Un risque d’auto-renforcement

La critique est largement connue, mais elle mérite d’être rappelée ici : les logiciels de police prédictive soulèvent un important risque d’effet d’auto-renforcement et donc d’une démultiplication de la domination policière de certains quartiers (surveillance, contrôle d’identité, usages de pouvoirs coercitifs). (...)

La police prédictive produit ainsi une prophétie auto-réalisatrice en concentrant des moyens importants dans des zones déjà en proie aux discriminations et à la sur-policiarisation.
De possibles abus de pouvoir (...)

Des outils à l’efficacité douteuse

Au regard de leur nature discriminatoire, même dans la mesure où ces systèmes de police prédictive s’avéreraient efficaces du point de vue de la rationalité policière, ils poseraient d’importants problèmes en terme de justice sociale et de respect des droits humains. Or, en dépit de l’absence d’évaluation officielle, le fait est que les données disponibles semblent confirmer l’absence de valeur ajoutée des modèles prédictifs pour atteindre les objectifs que la police s’était fixés. (...)

De graves lacunes dans la gestion des données (...)

Il est urgent d’interdire la police prédictive

L’effet de mode semble passé. La police prédictive ne fait presque plus parler d’elle. Et pourtant…

Malgré une absence flagrante d’évaluation, d’encadrement législatif et en dépit de piètres résultats opérationnels, les promoteurs de ces technologies continuent d’entretenir la croyance selon laquelle l’« intelligence artificielle » pourra permettre de rendre la police plus « efficace ». De notre point de vue, ce que ces systèmes produisent c’est avant tout une automatisation de l’injustice sociale et de la violence policière, une déshumanisation encore plus poussée des relations entre police et population.

Dans ce contexte, il est urgent de mettre un coup d’arrêt à l’utilisation de ces technologies pour ensuite conduire une évaluation rigoureuse de leur mise en œuvre, de leurs effets et de leurs dangers. L’état de nos connaissances nous conduit à penser qu’une telle transparence fera la preuve de leur ineptie et de leurs dangers, ainsi que de la nécessité de les interdire. (...)