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France24
La Russie part en croisade politique contre un mouvement sataniste imaginaire
#Russie #repression
Article mis en ligne le 26 juillet 2025

La Cour suprême russe a interdit, mercredi, le "mouvement sataniste international"... qui n’a jamais existé. Une décision qui fait écho à l’interdiction, en 2023, d’un groupe LGBTQ+ imaginaire. Selon les spécialistes, cette nouvelle croisade anti-satanisme sert aussi bien la propagande russe à l’international que ses objectifs de répression en interne.

Cette décision représente une "victoire dans la lutte éternelle du bien contre le mal" et permettra de poursuivre les adhérents à ce mouvement accusé de prêcher "les principes généraux du satanisme" et d’organiser des "rituels occultes", s’est félicité le bureau du procureur général de Russie.
Lucifer y es-tu ?

Sauf que cette "victoire" judiciaire s’est faite au détriment d’un groupe… qui n’existe pas. Il n’y a pas trace d’un quelconque "mouvement sataniste international" actif en Russie, ont souligné plusieurs médias indépendants et organisations non-gouvernementales, tels que Meduza et Department One.

La Cour suprême russe se serait-elle mobilisée pour rien ? Tout comme la Douma.... Un comité de travail réunit depuis juillet 2024 des députés, des religieux et des propagandistes d’État pour se pencher sur la meilleure manière de s’attaquer à la menace sataniste, souligne Novaya Gazeta, un média russe indépendant.

L’offensive contre cette supposée armée de Lucifer en Russie a même mobilisé les plus hautes sphères de l’Église orthodoxe russe (...)

Anti-satan et anti-LGBTQ+, même haine ?

Ce n’est, par ailleurs, pas un hasard si le juge qui a présidé la Cour suprême pour cette décision, Oleg Nefedov, est aussi celui qui a décidé, en 2023, d’interdire le tout autant inexistant "mouvement LGBTQ+ international". Avant cela, les autorités russes avaient également banni en 2020 le groupe AUE ("Arestantsky. Uklad. Edin," or "Prison. Order. Universal") - "un mouvement informel lié à une sous-culture née dans les prisons russes", précise Sergueï Katsuba. (...)

Pour cet expert, tous ces groupes ont un point commun : celui d’appartenir "à la catégorie des ‘vices’ que le régime russe prétend combattre pour se donner une image de supériorité morale".

Faire du satanisme le grand méchant du moment correspond ainsi au besoin "des autorités russes d’incarner la menace contre laquelle le Kremlin se défend", estime Stephen Hall, spécialiste de la Russie à l’université de Bath. S’afficher comme le champion des valeurs conservatrices c’est bien, avoir un ennemi à terrasser c’est mieux.

Le choix de la figure du diable répond aussi à un souci d’efficacité. "L’avantage avec le satanisme, c’est que ça parle à beaucoup de monde", explique Niels Drost, spécialiste des questions de sécurité en Russie au Clingendael Institute, l’Institut néerlandais des relations internationales. (...)

Ainsi, "lorsque le parlement russe a débattu de la loi ‘anti-propagande gay’ , en 2022, des députés ont établi un lien direct entre homosexualité et satanisme", souligne Sergueï Katsuba.

Au début de l’invasion à grande échelle de l’Ukraine, la guerre "était souvent justifiée par la nécessaire lutte contre un régime ukrainien décrit comme néo-nazi, mais au fil du temps, la propagande russe a de plus en plus qualifié les forces occidentales et ukrainiennes de sataniques", détaille Niels Drost.

Quitte à mélanger nazisme et satanisme (...)

Mouvement imaginaire, mais victimes bien réelles

La décision de la Cour suprême revêt donc "une valeur symbolique" pour servir la propagande du Kremlin, estime Sergueï Katsuba. Mais "elle permet aussi de renforcer la répression en interne", assure Niels Drost. En effet, si le "mouvement sataniste international" n’existe pas, "ce sont des gens bien réels en Russie qui vont être victimes de cette loi", prévient Sergueï Katsuba.

Pour ce faire, les autorités russes ont suivi la même recette qu’avec l’interdiction du "mouvement LGBTQ+ international". En visant une organisation qui n’existe pas, elle s’offre un avantage : impossible en Russie de contester l’interdiction d’un groupe car "les seules personnes qui peuvent s’y opposer sont celles qui en font partie", note Jenny Mathers.

Ensuite, comme avec le "mouvement LGBTQ+", la Cour suprême se garde bien de définir le satanisme. "C’est un terme très vague, ce qui va permettre au Kremlin d’utiliser le qualificatif de sataniste extrémiste comme bon lui semble et accuser qui il veut", prévient Stephen Hall.

Ceux qui sont ainsi visés risque gros. "Participer à une organisation extrémiste est un crime punissable de six ans de prison au maximum et des amendes sont prévues pour le fait de brandir des symboles extrémistes", résume Sergueï Katsuba. (...)

l’ONG Department One suggère que les autorités pourraient s’en prendre à des groupes de heavy metal "où les thèmes de l’occulte et du satanisme sont populaires".

Impossible de savoir quels sont, en outre, les symboles que le pouvoir va estimer "satanistes". Là encore, la Cour suprême se garde bien de donner des précisions. (...)

L’incertitude va "engendrer la peur et l’autocensure. Et c’est exactement ce que recherchent les régimes autoritaires, car la population est ainsi plus facile à contrôler", conclut Sergueï Katsuba.