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Mediapart
La tolérance progresse dans la société française mais le racisme demeure à un niveau très élevé
#racisme #tolerance #France
Article mis en ligne le 22 juin 2025

La Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) relève, dans un rapport publié mercredi, une amélioration de la tolérance envers les minorités en France en 2024. Mais, avec une légère hausse en un an, le nombre d’actes racistes comptabilisés n’a « jamais été aussi élevé ».

L’institution, chargée de conseiller les pouvoirs publics sur les questions liées aux droits fondamentaux, mesure chaque année grâce à « l’indice longitudinal de tolérance » l’évolution de ce sentiment chez les Français·es, calculé et analysé par le chercheur Vincent Tiberj à partir d’enquêtes en ligne et de visu réalisées par la CNCDH.

L’année 2024 enregistre ainsi le troisième meilleur score depuis 1990 avec 63/100 (100 étant l’indice maximal de tolérance), un niveau équivalent à celui de 2009. Les Français·es sont donc plus tolérant·es vis-à-vis des minorités musulmanes, juives, noires, asiatiques, roms, arabes, « malgré la diffusion de discours de défiance et de haine par certaines sphères politiques et médiatiques ». (...)

Ce bon score s’explique par des facteurs structurels comme l’élévation du niveau de diplôme, le renouvellement générationnel et la diversification de la population française, contextualise la CNCDH. Même si des facteurs conjoncturels, comme le traitement médiatique à l’instant t, peuvent avoir des conséquences sur ce chiffre.

Ainsi, illustre la CNCDH, les révoltes urbaines de l’automne 2005 consécutives à la mort de Zyed Benna et Bouna Traoré à Clichy-sous-Bois ont été largement traitées comme des « émeutes musulmanes ». À l’inverse, les attentats de janvier 2015 ont été l’occasion de « sortir par en haut », avec des manifestant·es prônant le refus des amalgames envers l’islam et les musulman·es.

La CNCDH émet aussi l’hypothèse d’une « déconnexion entre les sphères médiatiques et politiques, d’une part, et citoyennes », d’autre part, sur ces questions. En clair, il est possible que le bruit médiatique et les débats aux relents racistes ne touchent pas l’ensemble des personnes, en dehors de celles déjà convaincues.

Les actes racistes toujours très nombreux (...)

Le chiffre global de faits racistes, antisémites, antimusulmans et xénophobes s’élève à 3 144 pour l’année 2024, contre 3 139 pour l’année 2023. « Si on observe une très légère baisse des faits antisémites et antimusulmans, on constate une hausse des autres faits racistes et xénophobes », relève la CNCDH. Laquelle précise aussi qu’une partie de ces actes reste invisibilisée, faute de plaintes. (...)

En 2024, les atteintes racistes et xénophobes, incluant les faits concernant les personnes noires, arabes, asiatiques, roms, etc., ont progressé de 15 % (1 401 faits contre 1 221 en 2023). La part des faits racistes et xénophobes dans l’ensemble des faits recensés sur l’année par la Direction nationale du renseignement territorial (DNRT) est en hausse par rapport à 2023 (45 % en 2024 contre 39 % en 2023).

« La part des atteintes aux personnes (794 faits pour 607 atteintes aux biens) représente plus de la moitié des faits racistes et xénophobes, ce qui est particulièrement inquiétant et appelle une réponse forte des autorités », écrit la CNCDH.

La CNCDH regrette aussi de ne pouvoir préciser comment ces différents actes sont répertoriés et suivis, faute de données fournies par les autorités. (...)

Enfin, « on peut noter que ces actes sont particulièrement nombreux sur les mois de juin et juillet 2024, ce qui peut correspondre à un contexte d’élections propices à la diffusion de contenus racistes et haineux », lit-on dans le rapport.

Par ailleurs, les préjugés demeurent et les minorités continuent « d’être mises à part dans la société française ». La dimension « biologique » du racisme est désormais « très minoritaire » au sein de la population, mais les préjugés restent « fortement ancrés et sont assez stables cette année », relève l’institution.

Une classe politique désengagée

Le « Baromètre racisme CNCDH », une enquête d’opinion confiée à l’entreprise de sondages Ipsos, et menée auprès d’un échantillon de 1 210 personnes, permet de détailler ce phénomène (...)

Le concept de « préférence nationale », porté par l’extrême droite, ne recueille pas l’adhésion massive : 32 % des sondés estiment qu’on doit « donner la priorité à un Français » sur un étranger en situation régulière en matière de travail ou de logement.

Sans compter que « le sentiment anti-immigré est le plus corrélé aux autres formes de haine », relève encore le rapport de la CNCDH. « Plus on rejette les immigrés, plus on rejette les personnes perçues comme juives, musulmanes, asiatiques, roms, noires, et plus on s’oppose à l’égalité entre femmes et hommes et aux droits des personnes LGBTI. »

Dans son avant-propos, Jean-Marie Burguburu, le président de la CNCDH, pointe l’inconséquence du gouvernement face à ces constats. Il interpelle la classe politique, responsable selon lui de n’avoir pas mesuré « l’urgence d’agir » et « semble même s’être désengagée de la lutte contre le racisme et l’antisémitisme ».

La preuve, le Plan national pour la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations liées à l’origine (Prado), présenté en janvier 2023 par Élisabeth Borne, alors première ministre, a été mis de côté. En parallèle, le poste du délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah) est resté vacant entre juin 2024 et janvier 2025, « privant ainsi d’un nécessaire pilotage interministériel cette politique fondamentale ». En 2024, le premier ministre Michel Barnier n’a pas respecté l’obligation de remise officielle du rapport annuel de la CNCDH par son président selon la prescription de la loi de 1990. (...)

Des périodes électorales propices à la haine (...)

Le rapport pointe aussi la pénétration des thèmes et rhétoriques de l’extrême droite dans le débat public et au sein des formations politiques. La loi « immigration intégration asile » de décembre 2023 a ainsi « légitimé » le débat sur l’immigration. À tel point que plusieurs figures du Rassemblement national (RN) l’ont qualifiée de « victoire idéologique ».

La CNCDH s’inquiète du surgissement de termes « aussi clivants et discriminants » que « décivilisation », « ensauvagement » ou l’exaltation d’une perspective de « guerre culturelle ». La CNCDH souligne aussi que la campagne électorale des européennes a été virulente sur ces sujets et que les élections législatives anticipées ont aussi été particulièrement propices à la libération de paroles haineuses sur les réseaux sociaux et dans la « vraie vie ».

À ce titre, dans son focus de l’année 2024, le rapport s’intéresse au « racisme au quotidien ». « Diffus » et « insidieux », il se manifeste à travers des micro-agressions répétées, des discriminations systémiques ou des stéréotypes persistants ; et a des répercussions profondes sur la vie des personnes qui en sont victimes, notamment sur le plan psychologique. (...)

Le rapport rappelle par exemple que, dans un contexte médical, les femmes noires ont 50 % de chance en moins d’être évaluées en « urgence vitale » qu’un homme blanc. Et sont davantage touchées par des préjugés raciaux lorsqu’elles accouchent. Cela en raison d’un préjugé qui suppose l’existence d’un « syndrome méditerranéen », « se manifestant par une “dramatisation”, une exagération “culturelle” de la douleur éprouvée par les personnes d’origine africaine ou méditerranéenne », retrace l’institution. (...)