Dans son réquisitoire définitif, au terme duquel il réclame la tenue d’un procès contre la multinationale et ses anciens dirigeants, le Parquet national antiterroriste met en pièces la thèse, défendue par plusieurs mis en cause, d’une complicité de la diplomatie et des services de renseignement français.
Il y a dans le dossier Lafarge, c’est-à-dire dans cette extraordinaire affaire qui a mis en lumière les compromissions du géant mondial du ciment avec le géant du terrorisme islamiste, un fantôme qui rôde : l’État français. Et avec lui, deux de ses appendices qui sont depuis plusieurs années au centre de toutes sortes de spéculations : la diplomatie et les services secrets.
Que savait la première quand le groupe Lafarge a décidé de financer des organisations terroristes en Syrie, parmi lesquelles l’État islamique (ou Daech), afin de continuer à faire tourner son usine de Jalabiya, dans le nord du pays, malgré la guerre et les massacres ? Qu’ont fait les seconds, qui entretenaient de longue date des liens institutionnels avec des responsables de la sécurité de la multinationale ? Diplomatie et services secrets ne se protégeraient-ils pas mutuellement pour éviter au drapeau une salissure qui serait trop dure à nettoyer ?
Toutes ces questions sont lancinantes et alimentent à intervalles réguliers le débat public autour de l’affaire, créant beaucoup de bruit médiatique mais peu de certitudes judiciaires. (...)
« La question de l’influence éventuelle des autorités étatiques a été variablement soulevée par plusieurs mis en examen pour compenser la responsabilité de Lafarge SA », note le procureur Laurent dans son réquisitoire. Si le Pnat reconnaît l’existence d’échanges entre le Quai d’Orsay et des responsables de Lafarge au moment de la dégradation de la situation en Syrie et de l’avènement, à partir de 2012, de groupes terroristes, rien ne permet, selon lui, de corroborer le fait que l’État français ait poussé l’entreprise à la faute. (...)
L’usine syrienne de Lafarge, la plus puissante du Proche et Moyen-Orient, avait coûté 700 millions de dollars au groupe et la multinationale était prête à tout pour la maintenir en activité, fût-ce au prix d’un financement des organisations terroristes ayant mis la région en coupe réglée, d’après l’enquête judiciaire. (...)
Aux États-Unis, où le groupe Lafarge a accepté de payer en 2022 une amende de 778 millions de dollars pour avoir financé le terrorisme en Syrie, les autorités judiciaires n’ont pas hésité à parler d’un « crime ahurissant ». « La guerre requiert de l’argent, et Lafarge a payé des terroristes, alimentant le feu pour protéger ses propres profits », avait alors dénoncé un enquêteur du Homeland Security Investigations, l’agent spécial Michael Alfonso. (...)